Publié le Vendredi 5 février 2016 à 11h09.

Grèce : Développer une gauche 100 % à gauche, une urgence !

Le week-end dernier, Syriza fêtait son premier anniversaire au gouvernement, et comme le notait un journal, si la salle était pleine, la préoccupation se lisait chez les militantEs : non seulement parce que la droite est depuis peu donnée gagnante dans les sondages, mais aussi parce que, dans la même salle, Tsipras expliquait il y a un an sans rire que l’histoire s’écrit grâce à la désobéissance et promettait des luttes, la rupture avec le système...

Or des luttes, il y en a , mais elles sont tournées contre la politique d’un gouvernement devenu à son tour le commis des exigences libérales !

Privatisation et contre-réformes

Pire encore, le gouvernement applique cette politique sous un double chapeau : d’un côté, les cyniques, comme Pitsiorlas, directeur de l’organisme des privatisations, qui explique que la vente du port du Pirée au géant chinois Cosco est une réussite, car « le Pirée deviendra ainsi la porte vers l’Europe de tous les produits d’Asie, ce qui donnera une valeur fantastique à la ville et à la Grèce »... Même chose en ce qui concerne les 14 aéroports de province, qui doivent être vendus à une société étatique allemande : le triomphalisme de certains responsables est contrecarré par les inquiétudes sur cette mainmise monopolistique, qui pourrait avoir des conséquences sur le tourisme, l’agriculture et l’industrie des régions concernées, leur enlevant la souveraineté pour le développement.

L’autre attitude, jésuite de gauche, est incarnée par le ministre du Travail Katrougalos : alors que le projet sur les retraites est unanimement contesté, lui tente de faire passer cette nouvelle attaque pour une réforme de gauche, qui nécessiterait juste quelques améliorations... alors que tous les fronts mobilisés ces derniers jours exigent le retrait du projet (agriculteurs, marins, avocats...), avec un appel à une grève générale (secteurs privé et public) ce jeudi 4 février. Et pour cause, car il ne s’agit pas seulement de la 12e baisse des retraites depuis 2010, mais essentiellement de la démolition radicale du caractère de répartition de la sécurité sociale, au nom d’une « justice » des miettes... Et Katrougalos tente de faire cautionner ces attaques par certains secteurs de la gauche européenne, certains tombant malheureusement dans le panneau.

Découragement, (dé)mobilisation... et mécontentement

Même si le réveil social est perceptible, la mobilisation sur le terrain reste insuffisante. C’est le produit évident d’un découragement de masse : beaucoup de jeunes, de travailleurs, sans espérer de Syriza une révolution, espéraient sinon une amélioration, au moins que la chute en enfer s’arrête ! Or, si on regarde aujourd’hui l’état de l’économie, très peu de choses ont changé (réintégration de travailleurEs du public, réouverture de la télévision publique...), et la dégradation continue : chômage, hôpitaux dans la misère... Tout cela sur fond de pressions terrifiantes de l’Union européenne...

Ainsi, les diktats sur l’accueil des migrantEs (Bruxelles voudrait faire construire des camps pour accueillir 400 000 réfugiéEs près d’Athènes), et un nouveau chantage européen au « Grexit », cette fois concernant l’espace Schengen ! Hormis ce sujet où le ministre Mouzalas ose élever la voix, le gouvernement est aujourd’hui englué dans la gestion libérale, avec poses photos à Davos... Et cela passe aujourd’hui de plus en plus mal, alors qu’en septembre, le vote populaire continuait à croire aux tentatives de desserrer l’étau de la troïka.

Une orientation qui ne date pas d’aujourd’hui

Ce qui apparaît aujourd’hui chez d’anciens soutiens de Syriza, c’est un regard très critique sur l’orientation de fond. Ainsi, le journaliste T. Pappas estime que le programme de Salonique, défendu par tous les courants de Syriza, était moins radical que les propositions du Pasok en 1981 : un mélange de modernisation bourgeoise, de démocratisation politique et de keynésianisme, mais dans une période où même l’orientation social-démocrate est considérée comme « anormale » par le libéralisme.Une figure connue de la gauche radicale, M. Kavouriaris, revient, lui, sur les acceptations par le gouvernement dès février 2015 de ne pas s’engager dans des « décisions unilatérales » (c’est-à-dire d’assumer la rupture), cela alors sans aucun départ du gouvernement des courants de gauche, et en conclut qu’après être passée brusquement à 27 % en 2012, Syriza ne s’était pas du tout préparée aux tâches qui l’attendaient.Un bilan lucide, mais qui ouvre une question sur laquelle nous il faudra revenir : la nécessité de construire une gauche 100 % à gauche, pas seulement aujourd’hui, mais dès l’époque du lancement de Syriza, comme l’a fait et continue de le faire Antarsya.

D’Athènes, A. Sartzekis