A quelques heures des résultats du référendum, l'avenir reste très incertain pour le peuple grec, quels que soient les résultats de ce soir. Depuis plusieurs jours, la campagne médiatique pour le OUI bat son plein à la télévision comme dans les journaux. Le message de la bourgeoisie est aussi simple qu'omniprésent : la victoire du NON signifierait de facto une sortie de la zone euro, ce qui aurait des conséquences dramatiques pour les investisseurs, et le gouvernement Tsipras mène donc le peuple grec vers encore plus de chômage et de misère. Seuls quelques clips de campagne pour le NON, enfin finalisés par Syriza, viennent un petit peu briser ce consensus médiatique généralisé. Contre les aspirations du peuple grec à en finir avec les politiques d'austérité, la bourgeoisie mène aussi son offensive directement au sein des entreprises. Dans plusieurs usines, des patrons n'ont pas hésité à menacer leurs employés de fermeture de site ou de licenciements s'ils votaient NON, ou si le NON l'emportait.
Sur le terrain de la rue, par contre, l'atmosphère est sensiblement différente. Dans les quartiers populaires d'Athènes et des grandes agglomérations, les murs et les poteaux sont recouverts d'affiches appelant à voter NON. Dans les quartiers, on a vu ces derniers jours de nombreux militants d'extrême-gauche se relayer toute la journée afin de distribuer des tracts pour le NON. Des réunions et des petites manifestations de quartier ont aussi été organisées à l’initiative de divers groupes. Seul bémol, le puissant KKE (6,1 % aux dernières élections européennes), qui appelle à s'abstenir en glissant dans l'enveloppe un bulletin confectionné par ses soins sur lequel il est écrit « Non aux propositions pour l'accord de l'UE-BCE-FMI et le gouvernement grec / Désengagement de l'UE - abrogation du mémorandum et de toutes les lois d'application ».
Syriza tiraillé par ses contradictions
Si le NON l'emporte ce soir, probablement avec justesse, le gouvernement Tsipras se verra alors conforté dans sa position vis à vis des créanciers. Cela viendra confirmer une nouvelle fois les aspirations du peuple grec à en finir avec les politiques d'austérité qui lui ont été imposées depuis le début de la crise. Pour autant, il serait alors exagéré de parler d'une réelle victoire pour les jeunes et les travailleurs de Grèce. En effet, il faut rappeler que le gouvernement Tsipras n'a jamais prétendu rompre avec les politiques d'austérité : sa position, passée comme présente, consiste précisément à négocier les conditions de poursuite de l'austérité.
Le grand message de ces derniers jours du gouvernement de Tsipras afin de marquer sa « radicalité », a été d'insister sur le fait qu'il ne transigerait pas avec une restructuration de la dette. Mais il n'y a absolument rien qui ne vienne s'opposer aux politiques d'austérité dans une telle mesure. Faut-il préciser que la dette grecque a d'ores-et-déjà fait l'objet d'une restructuration, en mars 2012, sous un gouvernement de coalition Pasok-ND austéritaire ? Cela avait d'ailleurs permis aux investisseurs privés de transférer une bonne partie des risques de leurs actifs de vers les États européens. Par ailleurs, le FMI comme de nombreux économistes libéraux, expliquent depuis déjà plusieurs semaines qu'une restructuration de la dette est absolument inévitable afin d'éviter un défaut de paiement. Autrement dit, une restructuration de la dette ne représenterait pas un acte de rupture avec l'austérité ni de contestation de la légitimité de la dette : il s'agit juste d'un acte technique permettant de maintenir la dette à un niveau qui permette aux créanciers de continuer à demander des intérêts et la poursuite des mesures d'austérité. Le seul acte réellement en rupture avec les créanciers consisterait en fait à annuler purement et simplement la dette.
En réalité, juste avant que la Troïka ne décide finalement d'attendre le résultat du référendum avant d'envisager la suite des négociations, Tsipras espérait encore le mercredi 1er juillet faire accepter aux créanciers un plan d'austérité qui était dans la droite ligne des mesures mises en place jusqu'ici en Grèce. Il ajoutait simplement des aménagements marginaux aux propositions de la Troïka : l'électricité était mise au dehors des secteurs soumis à la privatisation, la suppression des retraites anticipées était finalement reportée en 2018 au lieu de 2017, et l'augmentation de la TVA essaierait de cibler d'avantage le secteur touristique… Bref, des aménagements de misère, que Tsipras espérait faire passer pour de grandes victoires populaires en appelant à voter OUI au référendum si l'Eurogroupe avait validé la proposition.
Mais la position des créanciers a finalement été d'attendre les résultats de ce soir, en espérant probablement que l'offensive médiatique et les menaces de la bourgeoisie seraient assez forte pour mettre le gouvernement Tsipras en défaut. Car au-delà du dossier grec, c'est bien l'aspiration de l'ensemble des peuples européens à en finir avec l’austérité qui est dans le collimateur des créanciers. Une victoire du OUI serait un gros coup de massue pour le peuple grec et l'ensemble des jeunes et des travailleurs européens. Il s'agirait d'une victoire pour la bourgeoisie européenne et le camp de l'austérité. Les conséquences en serait désastreuse. On assisterait probablement à une démission (d'au moins une partie) du gouvernement grec, et à la constitution d'un gouvernement d'union nationale, qui serait au service direct de la Troïka.
Rupture et solidarité internationale
Si le NON l'emporte, il s'agira alors de pousser le gouvernement Tsipras à faire ce qu'il n'envisage pas : rompre une bonne fois pour toute avec les politiques austérité, et refuser de payer la dette. Pour se donner les moyens d'un tel programme de rupture, il s'agirait de nationaliser le secteur bancaire et les grandes entreprises, et de trouver l'argent là où il se trouve. Depuis le début de son ascension, Syriza a entretenu des liens ambigus avec les armateurs (les plus gros groupes industriels de Grèce, contrôlant la plupart des médias). En échange de l'engagement des armateurs de ne pas délocaliser leur activité, Syriza a accepté de ne pas mettre en place un contrôle plus strict et une imposition plus élevée de ces derniers… Alors que Syriza sait pertinemment que ceux-ci placent des dizaines de milliards d'euros dans des paradis fiscaux comme la Suisse et le Luxembourg afin d'échapper au fisc. Afin d'en finir avec l'austérité, de tels arrangements avec la bourgeoisie grecque et européenne doivent cesser. Pour cela, des mobilisations de masse, de nouvelles journées de grève générale, sont nécessaires en Grèce et dans toute l'Europe.
D'ailleurs, que le OUI ou le NON l'emporte, la solidarité internationale avec le peuple grec s'avère aujourd'hui encore largement insuffisante. Celle-ci est bien évidemment plus difficile à construire alors que le gouvernement Tsipras a fait le choix de poursuivre les politiques d'austérité et de ne pas s'appuyer sur la mobilisation des masses dans la rue. Mais cette solidarité va s'avérer décisive dans les semaines et mois qui vont suivre, car que ce soit sous la houlette de Tsipras ou d'un nouveau gouvernement, le peuple grec va rapidement être confronté à de nouvelles attaques de la part de la bourgeoisie.
Un mouvement de soutien politique et matériel sera alors indispensable pour aider le peuple grec, le plus directement confronté aux attaques de la bourgeoisie. Mais celui-ci ne pourra s'avérer efficace que si dans tous les pays des mobilisations de masses arrivent à se structurer contre les politiques d'austérité, en France comme partout en Europe.
Ainsi, au-delà même des résultats de ce soir, tout demeure incertain. Les discussions avec des militants de l'aile gauche de Syriza font ressortir une certaine dose de découragement : l'impression que peu importe les résultats de ce soir, que leur parti reste aux commandes du gouvernement ou pas, les jours à venir ne seront pas très roses pour le peuple grec. Cela est probablement en partie vrai… Mais il s'agit dès lors de tout faire pour qu'en Grèce, comme partout en Europe, malgré les illusions réformistes entretenues par certaines forces politiques, la jeunesse et les travailleurs occupent à nouveau le pavé, entrent à nouveau sur le devant de la scène afin de mettre en terme aux offensives de la bourgeoisie, et de la déstabiliser.
Correspondant depuis Athènes (dimanche 5 juillet, midi)