Publié le Mercredi 19 juin 2013 à 13h39.

Grèce : une faute politique décisive ?

Ces derniers mois ont été marqués par un incontestable temps d'arrêt des mobilisations nationales : en cause, le découragement croissant puisque toutes les luttes depuis 4 ans se heurtent à un mur de mépris et de répression, qui devient d'ailleurs une constante européenne. Mais aussi en raison du refus de la bureaucratie syndicale de lancer des mouvements qui pourraient lui échapper !Et cela vaut bien sûr pour les courants syndicaux émanant des trois partis au gouvernement (en Grèce, pas de tendance syndicale mais des fractions représentant directement les partis), mais aussi pour celui du KKE ou de Syriza (le premier ayant refusé d'appeler à la récente grève des enseignants, le second ayant trahi leur volonté majoritaire en faveur de la grève). D'où l'immense espoir qui a surgi avec la magnifique mobilisation en cours des travailleurs de l'organisme de télé-radio publique ERT, non pas menacés de licenciements mais carrément licenciés du matin au soir du sinistre mardi 11 juin par le non moins sinistre porte-parole du gouvernement, Kedikoglou.

L'erreur de SamarasEn tête des sondages, le Premier ministre a cru pouvoir imposer à ERT une recette qui lui était demandée par l'UE : attaquer le prétendu sureffectif des fonctionnaires. On sait maintenant que l'UE, une des composantes de la troïka, exigeait depuis 2011 une réduction voire une liquidation de plusieurs organismes publics, dont ERT. Samaras a donc voulu exaucer les demandes de la troïka, en visite de contrôle à Athènes, et montrer qu'il est un ministre à poigne.Mais ce qu'il ne prévoyait pas, c'est la vague de protestation et de refus que son acte aux formes de coup d'État allait entraîner : depuis mardi 11 juin, les personnels de ERT occupent le siège central et des dizaines de milliers de personnes sont allées les soutenir, avec organisation de concerts, d'événements populaires. Une grève générale de 24 heures a eu lieu jeudi, les deux confédérations et fédérations du public n'ayant pas pu cette fois se défiler. Partout dans le pays, la population fait connaître son refus (65 % d'après un sondage), et les licenciés assurent un programme en continu par d'autres canaux solidaires, que le gouvernement tente de brouiller.Cette vague de fond a déjà des conséquences politiques importantes. D'abord une crise gouvernementale : le Pasok et Dimar (7 et 4,5 % dans un sondage cette semaine), membres de la « troïka intérieure » tentent de se refaire une santé, en refusant l'acte de Samaras, qui se retrouve isolé… avec le seul soutien des nazis de Chryssi Avgi. On observe aussi une évolution dans les sondages : Syriza repasse en tête avec 29 %, la droite étant créditée de 26,5 %. Les nazis restent pourtant à 14 % dans un sondage, 9 % dans un autre sondage qui donne aussi 1,5 % à Antarsya. Mais le plus important est le fait que cette mobilisation a forcé toute la gauche à se réunir sur le même lieu, au contraire des pratiques de division habituelles. L'enjeu est compris : si les ERT gagnaient, ce serait la première victoire d'une mobilisation centrale depuis le début des mémorandums !Autre point important : la puissante solidarité internationale, et notamment européenne (syndicats, partis, associations professionnelles) est vue comme très utile.

Vers la démission du gouvernement ?Outre l'écran noir de mardi, il faut rappeler qu'en quelques mois, la troïka intérieure a procédé à trois mesures de réquisition de grévistes, ôtant donc ce droit fondamental au personnel du métro, puis aux marins et aux professeurs. Dans le même temps, les nazis bénéficient d'une impunité inquiétante pour leurs crimes, dont le dernier est ce député proclamant sans honte à l'assemblée son négationnisme du génocide des Juifs. Que ce soit pour le droit de grève ou contre les nazis, on peut espérer que la mobilisation populaire en faveur de ERT va désormais prendre les mêmes formes, avec notamment le soutien uni des artistes et des intellectuels, pour lancer une contre-offensive démocratique devenue urgente et ­centrale.Si Samaras garde le soutien des grands requins audiovisuels privés, s'il va vouloir casser cette vague de solidarité, il est clair en même temps que l'actuelle mobilisation peut déboucher très vite sur une question concrète : la démission du gouvernement. Se pose donc très concrètement la question du gouvernement qui pourrait être mis en place pour commencer à prendre les mesures anti-austérité : sur ce plan, l'absence de réponse claire et massivement crédible pèse et affaiblit les luttes, quelle que soit leur puissance. La mobilisation autour de ERT pourrait faire accélérer les clarifications pour un débouché politique.L'annulation par la justice du décret gouvernemental de ERT est une première victoire. La mobilisation doit continuer.

D'Athènes, A.Sartzekis