Publié le Jeudi 27 avril 2017 à 21h13.

Guyane : L’heure du bilan

Il y aura un avant et un après mouvement. Après cinq semaines de mobilisation et de barrages, l’accord signé avec le gouvernement représente une victoire importante.

Même si on sait ce que valent les promesses de l’État français en ce domaine, le préfet a dû accepter que l’Accord de Guyane paraisse au Journal Officiel. Il a également dû accepter le drapeau guyanais tendu sur la table des signatures.

Ce drapeau, popularisé par l’intervention télévisée de Philippe Poutou lors des derniers jours de la campagne, a été adopté par l’UTG (Union des travailleurs guyanais) lors de son congrès fondateur en 1967. Le vert et le jaune représentent les richesses du sol et du sous-sol, et l’étoile rouge l’orientation socialiste de la lutte anticoloniale. Longtemps décrié comme « indépendantiste », il a été progressivement arboré par les équipes sportives, sur les pare-brise des automobilistes, jusqu’à s’imposer comme symbole d’unité et d’affirmation identitaire lors des manifestations de masse du 28 mars.

La centrale UTG aura joué un rôle prépondérant dans ce mouvement, pourtant parti de revendications sécuritaires et des « socioprofessionnels ». Face à la stratégie de pourrissement de l’État, face aux divisions du collectif – les 500 Frères ont scissionné et leur porte-parole a quitté le collectif avec fracas la dernière semaine – l’expérience collective des syndicalistes a permis de tenir et d’arracher des acquis pour la majorité de la population. 

Pour la santé, l’hôpital de Kourou va devenir public, un CHU va être construit et des services manquants devraient ouvrir en différents points du territoire. C’est encore loin de satisfaire les besoins primordiaux de la population, et l’UTG tient toujours un piquet devant l’hôpital de Cayenne, mais il y a des avancées réelles. De même dans l’éducation, qui a un rôle stratégique étant donné le poids de la jeunesse, des constructions attendues depuis des années vont enfin trouver des financements, dont le lycée de Maripasoula. Là encore, la lutte devrait continuer, en particulier pour une politique académique adaptée aux réalités du pays.

Sortir de la dépendance coloniale

L’évolution statutaire représente une revendication ancienne en Guyane. Depuis les années 1970 et la mort du député Justin Catayée, une partie de la classe politique demande la possibilité d’adapter les lois et réglementations, d’obtenir une autonomie pour un développement endogène du territoire, certains revendiquant même l’indépendance. Des mobilisations massives, souvent suivies d’arrestations des leaders les plus combatifs, ont éclaté en 1974, en 1992, en 1996-97 et au début des années 2000. Parallèlement, l’État a réussi jusque-là à garder la main sur le calendrier institutionnel et à manœuvrer, pour préserver son emprise sur les richesses d’un territoire qui pourrait lui échapper si la production locale se développait. 

L’accord prévoit qu’un congrès des élus se tiendra avant la fin de l’année, qui pourra impulser des États généraux puis convoquer un référendum sur un statut adapté. Ce serait un pas en avant important pour sortir de la dépendance coloniale, même si les modalités et les finalités de ce changement institutionnel dépendent de la pression que mettront les luttes populaires d’ici là. 

Le résultat du premier tour de la présidentielle reflète la polarisation à l’œuvre dans la société. Mélenchon (24,72 %) arrive en tête juste devant Le Pen (24,29 %). En 2012, ils étaient respectivement à 7,9 % et 10,5 %. L’abstention a atteint les deux tiers d’un corps électoral pourtant réduit par rapport au nombre d’habitantEs. 

Le maintien de la fiction administrative française, ou l’audace de la décolonisation ? La peur de l’autre et le repli sur soi, ou la solidarité telle qu’elle s’est manifestée sur les barrages pendant ces cinq semaines ? La destruction de l’environnement par la pollution au mercure et aux rejets du spatial, ou la construction d’une nouvelle civilisation écosocialiste ? Plus que jamais, la Guyane apparaît comme un laboratoire des défis posés par la globalisation à l’humanité dans son ensemble. 

De Guyane, Vincent Touchaleaume