Même si la Guyane fait moins la Une des médias que lors de la mobilisation historique du 28 mars, le blocage de ce territoire stratégique est toujours total. L’État joue la montre, les négociations avec les ministres ont partiellement échoué et le mouvement est en train de se réorganiser.
Les revendications du Komité Pou Lagwiyann Dékolé sont absolument légitimes. Le sous-investissement de l’État dans les infrastructures depuis des décennies a produit une crise structurelle, dans une société à la forte croissance démographique. Pourtant, la Guyane dispose de nombreuses richesses qui sont soit pillées au profit de grandes entreprises, soit inexploitées.
Le Centre spatial guyanais est un enjeu stratégique en tant que principal outil d’exploitation coloniale pour la France et l’Europe. C’est dire l’impact de la marche du mardi 4 avril à Kourou, où plus de 10 000 manifestantEs se sont dirigés vers les grilles du CSG. Une occupation de 24 heures par les représentants du Komité, accompagnés des principaux élus, et soutenues par 300 personnes campant toute la nuit devant les grilles au son des tambours, a permis une prise de confiance : quinze jours plus tôt, une première tentative s’étaient soldée par un gazage en règle par les nombreux gardes mobiles déployés.
La pression populaire reste forte malgré les sacrifices imposés par trois semaines de barrages, bloquant 21 des 22 communes du pays. Le Medef local a commencé à se désolidariser, les élus locaux essaient de jouer leur partition de négociateurs professionnels avec l’État colonial, et des opposants aux barrages, notamment métropolitains, commencent à s’organiser... Mais la détermination des Guyanais est là. L’enjeu est immense, au-delà des 3 milliards supplémentaires exigés pour l’éducation, la santé, les transports, et l’énergie. La question est de savoir si le cadre statuaire en vigueur depuis la loi de départementalisation en 1946 va perdurer.
« Si vous ne voulez pas nous donner l’argent, donnez-nous les clés »
L’aspiration au changement est profonde dans de nombreuses couches de la société. La France en tant que puissance occupante n’a jamais su conduire une politique de développement cohérente, même en la comparant avec d’autres situations coloniales. L’État a intérêt à maintenir une économie de comptoir. Dans ce cadre, un changement de statut, dans le cadre des articles 72 ou 74 de la Constitution – comme en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie ou à Saint-Martin – voire un statut original, serait un pas en avant pour le « projet guyanais ». En tous cas, des milliers de personnes sont prêtes à tenir sur les barrages ou à faire face à la police devant la préfecture, pour voir leur situation s’améliorer.
Les forces progressistes n’ont pas été à l’origine de ce mouvement, à part le syndicat UTG de l’Éclairage (EDF) qui tient le barrage du CSG depuis le début. Cela a souvent été le cas lors de grandes révolutions... L’universitaire guyanaise Isabelle Hidair parle de « révolution participative », même si les AG sont rares et si le Komité a pour l’instant conduit le mouvement dans un climat d’urgence permanente et de tensions entre les différentes forces, ce qui ne favorise pas la démocratie. C’est un enjeu majeur pour que le mouvement tienne.
La principale force de l’opposition radicale est le Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES), impulsé au début des années 1990 par des syndicalistes d’inspiration maoïste pour maintenir des perspectives d’émancipation après l’implosion de l’URSS. Il regroupe des militantEs d’horizons divers, du nationalisme de gauche à l’internationalisme ouvrier, et s’est ouvert ces dernières années afin d’accompagner la jeune génération guyanaise, avide de prendre ses affaires en main.
À Paris et à Cayenne, ce sont les mêmes qui exploitent. Il est donc du devoir de tous les progressistes en France d’apporter leur soutien à ce mouvement.
De Guyane, Vincent Touchaleaume