Publié le Mercredi 20 mai 2015 à 17h30.

Haïti : cynisme sous les tropiques

À l’heure où la question de la dette traverse l’Europe, Hollande en voyage marathon aux Antilles a remis en lumière la question de la dette haïtienne. Dette morale et financière, Hollande efface l’une avec l’autre... sans crédit et avec le plus grand cynisme.

Ce voyage aura au moins permis de mettre au jour cet épisode de l’histoire coloniale française.

Aux origines de la detteL’île, sous domination espagnole avant de passer sous domination française à la veille de la Révolution française, fut pillée et même quasiment rasée durant le 17e siècle, laissant à jamais des marques indélébiles1.En 1791, en pleine Révolution française, les esclaves se soulèvent victorieusement pour finalement mettre fin en 1805 à 300 ans d’esclavagisme. Cette colonie française était une source de revenus très importante grâce aux ressources sucrières. Ainsi, à la veille de la Révolution française, Haïti est le premier exportateur mondial de sucre et de produits coloniaux : mélasse, café, coton, cacao... En 1825, le roi de France Charles X négocie la reconnaissance de l’indépendance de l’île en échange d’indemnités : la « rançon de l’indépendance ». Par négociations, il faut entendre menaces... Une armada de près de 14 bâtiments de guerre armés de 528 canons est chargée de cette mission, et en cas d’échec ce sera le blocus de l’île.La rançon s’élève à 150 millions de francs-or, soit l’équivalent de 15 % du budget annuel de la France de l’époque. Elle sera révisée sous Louis Philippe à 90 millions de francs-or, soit l’équivalent de 27 milliards d’euros actuels, même s’il est dur de déterminer avec précision ce qui en fut le coût réel. Le système de la dette est déjà celui que nous connaissons aujourd’hui. Pour payer, il faut emprunter, bien entendu à ceux à qui il faut payer et à qui vous exportez... Durant cette période, le cours du café au Havre s’effondre, impactant directement les revenus de l’île. Un exemple parmi tant d’autres.Cette dette, Haïti mettra 125 ans à la payer.

Hollande, des paroles à la chuteÀ Pointe-à-Pitre, Hollande déclara : « Quand je viendrai en Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons. » Cette phrase fortement médiatisée trouve un écho particulier dans l’île. Forte de sens pour Haïti mais aussi pour la Guadeloupe, une île qui comme l’a prouvé la lutte du LKP n’a pas oublié et vit toujours une politique coloniale. Avec cette déclaration, Hollande écarte donc d’un revers de main tout devoir de réparation dû également aux Antilles restées françaises, alors même qu’il inaugurait le Mémorial Act à la mémoire de ce passé esclavagiste.Devant la médiatisation et les questions suscitées par cette déclaration, le panache du discours s’est dégonflé, et à son arrivée en Haïti, il ne restait que des fleurs au pied de la statue de Toussaint Louverture, et une chute des plus symboliques en montant sur l’estrade. Cette même estrade où le président de la République distille son discours devant un parterre de V.I.P., alors qu’un peu plus loin, des Haïtiens maintenus à distance de la cérémonie clamaient « restitution », « réparation », « argent oui, morale non »... Hollande a alors répondu que cette dette il s’en acquitterait « moralement », précisant : « On ne peut changer l’histoire, mais on peut changer l’avenir ». L’avenir ? Une coopération dans le domaine de l’éducation, « un véritable plan Marshall »... Cela alors qu’ici, de la réforme des rythmes scolaires à celle des collèges, il enchaîne les réformes de casse de l’éducation nationale...Tout comme Sarkozy au moment du tremblement de terre, c’est donc bien en néo-colonialiste que François Hollande est venu à Port-au-Prince. Le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire (1950) n’en est que plus retentissant : « Et balaie-moi tous les obscurcisseurs, tous les inventeurs de subterfuges, tous les charlatans mystificateurs, tous les manieurs de charabia. Et n’essaie pas de savoir si ces messieurs sont personnellement de bonne ou de mauvaise foi, s’ils sont personnellement bien ou mal intentionnés, (…) l’essentiel étant que leur très aléatoire bonne foi subjective est sans rapport aucun avec la portée objective et sociale de la mauvaise besogne qu’ils font de chiens de garde du colonialisme ».

Thibault Blondin