Le 16 mai, les résultats des élections législatives indiennes ont été bien au-delà des prévisions. Avec 31 % des voix, le Bharatiya Janata Party, le Parti du peuple indien, a remporté 282 sièges, soit bien plus que la moitié des 543 membres du Parlement. C’est une victoire écrasante.
Composante de la droite hindouiste, ce parti a désormais la majorité absolue. Cela lui donne toute latitude. Pourtant gouverner l’Inde n’est pas aussi simple, et il doit former son gouvernement avec des partis régionaux. Le Parti du Congrès n’a eu que 44 sièges : plus qu’une défaite, c’est un effondrement pour le parti historique de l’indépendance, laïque (au sens anglais de secular), qui avait gouverné pendant des dizaines d’années pratiquement sans interruption et qui a mis en place les réformes libérales des années 1990 qui ont permis le développement du BJP. Aux dernières élections nationales de 2009, Le Congrès avait 206 sièges, le BJP n’en avait que 116, alors que les partis régionaux se répartissaient au sein des deux grandes alliances nationales : l’UPA pour le Congrès et le NDA pour le BJP.
L’effondrement du Parti du Congrès et les enjeux de l’électionLe rejet du Parti du Congrès était prévisible à cause des gros scandales de corruption où il était impliqué, à cause des mauvais résultats économiques : inflation élevée, ralentissement de la croissance. Cependant certaines questions restaient ouvertes. Les partis régionaux, basés sur des identités de caste, de langue, de communauté allaient-ils bénéficier de ce rejet ? Les partis du « Front de gauche » déconsidérés pour leur politique libérale au Bengale allaient-ils regagner de la confiance ? Allait-il y avoir un vote de la campagne (2/3 des circonscriptions) opposé à un vote des villes (2/3 du revenu national) ? Qu’allaient voter les 100 millions de nouveaux jeunes électeurs ? Leur préoccupation d’avoir de meilleures conditions de vie, un travail dans une Inde prospère, allait-elle l’emporter ? Allaient-ils être sensibles au mouvement anti-corruption et au rejet des politiciens corrompus de ces dernières années ? Qu’allait être le vote des femmes lié au débat sur le viol et aux manifestations pour plus de sécurité ? Allaient-elles voter pour un nouveau venu, le Parti AAP de l’homme du peuple, qui avait fait de ces deux derniers enjeux, avec la lutte contre la corruption, son programme ?
Une victoire de Narendra Modi avant celle du BJP ?Finalement, c’est bien « la vague Modi » qui l’a emporté. La campagne de ce parti s’est appuyée sur le succès du développement économique de l’État du Gujarat où il était Premier ministre. Le leader du BJP a incarné les aspirations des classes moyennes et d’une partie de la population pauvre qui attend qu’il reproduise cela à l’échelle de l’Inde. Bien sûr, ce développement est une fiction pour les habitants pauvres de cet État. Mais dans les milieux d’affaires, indiens comme internationaux, cette politique peut permettre le développement du libéralisme économique : bonne gouvernance, infrastructures électriques et routières, emplois à la demande des entreprises. Ils veulent croire – ou faire croire – que Modi serait devenu un « homme fréquentable », capable d’avoir une politique pour l’ensemble d’un sous-continent, détaché de son passé idéologique d’une droite nationaliste hindouiste et partie prenante dans la droite fascisante du RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh), l’Association des Volontaires Hindou. Les États-Unis, les pays de l’Union européenne souhaitent surtout avoir des relations économiques et stratégiques avec l’Inde, après l’avoir privée de visa ou boycottée. Lors des émeutes et du carnage communautaire du Gujarat de 2002, un millier de personnes, essentiellement des musulmans, ont été tuées. Modi, Premier ministre de cet État, et sa police avaient été accusé de laisser-faire et de complicité. Douze ans après, il va gouverner l’Union indienne. Des volontaires du RSS ont participé à sa campagne dans l’Uttar Pradesh, un État où des émeutes communautaires ont fait des dizaines de morts et des milliers de déplacés parmi les musulmans fin 2013. Les craintes de voir resurgir des émeutes et des pogroms, à l’initiative des militants et partisans de cette droite fascisante encouragée par ses résultats, sont fortes parmi les musulmans et les progressistes.
Christine Schneider