En organisant deux journées de grève dite générale les 8 et 9 janvier, les syndicats indiens, notamment ceux liés aux partis communistes, ont marqué la scène politique indienne et fait l’actualité internationale. Les organisateurs ont pu annoncer 200 millions de participantEs. Une ampleur significative de la démonstration de force que l’opposition politique et ses syndicats ont tenu à faire alors que la mandature du nationaliste hindou Modi touche à sa fin et que les élections générales sont dans quelques mois.
Très suivies dans les bastions « communistes » ou syndicaux, les secteurs organisés comme les mines de charbon, les banques et les transports mais également dans des secteurs informels, où est employée l’essentiel de la classe ouvrière indienne, et dans des localités industrielles et des entreprises où le poids de ces appareils est nettement plus réduit, ces grèves montrent la survie des forces politiques issues du stalinisme mais aussi la mobilisation d’une classe ouvrière indienne de plus en plus nombreuse et parfois très combative.
Un mouvement plus important que les précédents
Quasiment annuelles depuis les années 1990, ces grèves à l’échelle du pays sont organisées par en haut par des syndicats nationaux liés aux principaux partis politiques. Les revendications tournent autour des salaires, des prix, du droit du travail… dans le cadre de discours s’opposant aux politiques de libéralisation associées au tournant de 1991 menées sous l’égide de la Banque mondiale et du FMI après la chute de l’URSS. Spectaculaires et conçues comme telles, ces grèves n’ont pas permis d’infléchir les politiques pro-patronales portées par tous les gouvernements, et accentuées par les politiques de Modi. Depuis 2012, elles ont pourtant été plus importantes, plus fréquentes, se sont parfois étendues sur deux jours et sont appelées par l’essentiel des syndicats nationaux. Surtout elles mobilisent de plus en plus de monde : de 100 millions de participantEs revendiqués en février 2012 à 200 millions aujourd’hui.
L’échec des politiques économiques de Modi n’y est sans doute pas étranger. 11 millions d’emplois ont été détruits en Inde en 2018, alors que Modi promettait au moment de son élection d’en créer 20 millions par an. Les femmes sont les plus affectées, tout comme les zones rurales. Les mobilisations de paysanEs ont d’ailleurs été massives à l’automne dernier. Et en décembre, Modi subissait des revers électoraux dans des États ruraux, les plus importants depuis 2014.
face aux agendas politiciens et à la répression
Difficile de faire un bilan national, même simplement chiffré, d’une grève s’accompagnant de bandh, c’est-à-dire des actions de fermeture de commerces et de blocages, ou d’entreprises fermées par les patrons les jours de grève pour mieux être ouvertes durant les jours de repos des travailleurEs. Néanmoins, quelques exemples semblent significatifs de sa profondeur. Au Kerala, un État régional, dirigé alternativement par les « communistes » et le parti du Congrès depuis les années 1950, l’ensemble de l’activité économique a été stoppée, notamment par les militants du PCI-M, le parti au pouvoir au niveau de l’État, à l’exception de quelques secteurs porteurs comme le tourisme. Au Tamil Nadu, un État voisin dirigé par des alliés des nationalistes hindous, des milliers de travailleurEs en grève ont été arrêtés dans différentes villes alors qu’ils tentaient de bloquer des trains. À Bombay, la grève « générale » des syndicats nationaux a été le support pour le départ d’une grève sur les salaires dans la compagnie de bus de la ville, dont les lignes sont empruntées par 2,5 millions de passagerEs par jour. Une grève qui ne s’est pas arrêtée au bout de deux jours, et qui continue alors qu’elle a été déclarée « illégale » et que des milliers de bus privés ont été introduits dans la ville pour la briser.
Sur la zone industrielle de Neemrana au Rajasthan, dans le corridor industriel Delhi-Bombay, 2 000 travailleurEs, qui profitaient de la première journée de grève pour se rassembler et hisser un drapeau syndical sur l’usine Daikin, ont été attaqués par une milice patronale et la police. Le soir, des travailleurEs ont été arrêtés chez eux la nuit par la police accompagnée des ressources humaines de Daikin. Le crime des ouvriers de Daikin ? S’être battus depuis des années pour constituer un syndicat, notamment lors d’une grève de deux mois en 2013, avoir obtenu gain de cause devant la Haute Cour du Rajasthan en août dernier, et avoir élu un travailleur musulman comme président du syndicat. Un syndicat qui a appelé à continuer la grève le deuxième jour malgré la répression.
Kris Miclos