Publié le Mercredi 20 janvier 2010 à 23h45.

Indonesie : du pareil au même (par Danielle Sabai)

2009 fut une année électorale importante en Indonésie. En avril, 171 millions d’électeurs indonésiens ont renouvelé les assemblées nationales, provinciales et de districts. Puis le 8 juillet, pour la deuxième fois depuis la fin de la dictature militaire de Suharto, ils ont élu leur président au suffrage universel. Le pays est l’un des plus vastes archipels au monde avec pas moins de 17500 îles. Y organiser des élections est un véritable cauchemar logistique. Il a fallu plusieurs semaines pour obtenir les résultats définitifs. Cependant, dès le 8 juillet au soir, il était clair que le président sortant, Susilo Bambang Yudhoyono (appelé SBY), avait remporté les élections dès le premier tour avec plus de 60 % de votes favorables laissant les autres candidats loin derrière. Trois candidats étaient en lice. En plus de l’actuel président, SBY, concourraient son actuel vice président Jusuf Kalla et l’ancienne présidente entre 2001 et 2004, Megawati Sukarnoputri, fille du premier président de l’Indonésie après l’indépendance, Sukarno.

Des militaires toujours bien présents

Cela fait maintenant 10 ans que les indonésiens se sont libérés du joug de la dictature militaire conduite par Suharto. Durant les 33 ans de cet «Ordrenouveau», entre 1 et 2 millions d’indonésiens, partisans de Sukarno, communistes, socialistes, militants des droits de l’homme, et syndicalistes ont disparu, ont été emprisonnés, torturés, assassinés. On ne connaît toujours pas l’ampleur des crimes commis. A la différence de l’Amérique latine, du Cambodge ou du Rwanda, l’Indonésie est le seul pays où aucun militaire n’a encore été jugé, ni n’est même menacé de l’être. Au contraire, les trois duos qui se présentaient à l’élection présidentielle comprenaient tous un militaire à la retraite, révélateur du pouvoir économique et politique encore très important de l’armée.

L’actuel vice président Jusuf Kalla, dirigeant du Golkar (le parti de Suharto durant la dictature) avait pour colistier Wiranto, le dirigeant du parti Hanura (Hati Nurani Rakyat, Parti de la conscience du peuple), un temps adjudant de Suharto. Il est formellement accusé de crimes contre l’humanité alors qu’il dirigeait les forces armées au Timor Oriental au moment du vote de son indépendance en août 1999. Au moins 1400 timorais sont morts à cette époque et des dizaines de milliers d’entre eux ont été déportés vers la partie ouest du Timor restée sous contrôle de l’Indonésie. De plus, la région a été saccagée par les militaires indonésiens. Wiranto a évité un procès grâce aux autorités indonésiennes qui ont refusé son extradition vers le Timor Oriental. Il est quand même sous le coup d’un mandat d’arrêt international.

Prabowo Subianto, dirigeant du Gerindra (Gerakan Indonesia Raya, parti du mouvement pour une plus grande Indonésie), le colistier de Megawati (chef du PDI-P, Parti Démocratique Indonésien de lutte) fut, durant la dictature, l’un des chefs du Kopassus, une unité militaire spécialisée dans la contre-insurrection et réputée pour ses atrocités. Il est accusé de la disparition de plusieurs dizaines de militants pro-démocratie en mai 1998, durant les dernières heures de la dictature de Suharto. Prabowo est aussi connu pour son sinistre bilan au Timor oriental et en Papouasie occidentale. Mais il bénéficie de nombreux appuis dans les milieux d’affaires et dans l’armée ainsi que de relais familiaux (il est l’ex-mari de la fille de Suharto, Titiek).

Trois candidats, un même agenda néolibéral

Pour finir, SBY est lui-même un général en retraite. Comme ses concurrents, il a servi dans les années 70 au Timor durant l’occupation à un moment où il y eut de sérieuses violations des droits humains. Dirigeant du Parti Démocrate, il conduisait durant ces élections, une coalition de 18 partis dont plusieurs partis islamiques. Révélateur de la politique suivie, son colistier, Boediono, était précédemment le chef de la banque centrale et un économiste très apprécié du FMI. Boediono fut le ministre des finances de Megawati avant de devenir le ministre de l’économie de SBY. L’actuel vice président de SBY, Jusuf Kalla et SBY lui-même furent aussi ministres de Megawati. C’est dire si les différences politiques entre les trois candidats sont vraiment ténues.

Bien que leurs campagnes aient revêtu des accents différents, ils partagent le même agenda néolibéral. Ils ont jouéun rôle actif dans cette décennie (1999-2009) de mise en place des politiques néolibérales qui ont conduit à une augmentation de la pauvreté, du chômage et des destructions environnementales.

Jusuf Kalla a jouéla carte nationaliste en promouvant le renforcement du capitalisme domestique et un affaiblissement de la domination des capitaux étrangers.

Megawati a pour sa part uséd’une rhétorique populiste, peu en accord avec la politique qu’elle a menédurant les 4 années de sa présidence.

SBY, est considérépar le journal «The Economist» comme le champion des investisseurs étrangers. Il a supprimé les subventions de l’essence afin de réduire le déficit budgétaire. Pour éviter des protestations comme en Malaisie, il a décidé de verser tous les trois mois l’équivalent de 26 dollars aux plus pauvres et de leur accorder la gratuité des soins de base. Il bénéficie d’une grande popularité, en partie grâce à ces aides et à la lutte contre la corruption menée par une commission indépendante mais dont il retire un certain prestige.

A gauche

Il est quasiment impossible aux forces de gauches de se présenter aux élections. Un candidat àla présidentielle doit être soutenu par un parti ou une coalition représentant 20 % des sièges à l’assemblée nationale ou 25% des suffrages exprimés.

La plupart des organisations de gauche indonésiennes ont mené une campagne pour l’abstention ou le boycott militant des élections, connue sous le nom de Golput. A l’époque de Suharto, ce mouvement permettait de dénoncer les farces électorales organisées régulièrement par la dictature. Aujourd’hui, en l’absence d’un candidat de gauche crédible, l’appel au boycott offre une possibilité d’exprimer son mécontentement.

Toute la gauche n’a pas choisi de faire campagne pour le boycott. La préparation de ces élections a en fait provoqué un éclatement du PRD (Parti Démocratique du Peuple), un parti de gauche qui a joué un rôle majeur dans la lutte contre Suharto dans les années 1990. Une partie du PRD, et sa coalition électorale Papernas, ont décidé de mener leur propre campagne électorale. A cette occasion, la principale dirigeante du PRD, Dita Sari a lancé un nouveau groupe, les «Courageux Volontaires pour Ressusciter l’Autosuffisance» (RBBM) afin de soutenir la candidature du tandem Kalla – Wiranto. Ils affirment que, parmi les candidats, les positions défendues par Jusuf Kalla sont les plus proches des positions de Papernas concernant l’autosuffisance et la construction d’une industrie nationale. Ils prétendent même que les candidatures de Kalla et Megawati représentent une alternative à la politique néolibérale de SBY.

L’autre partie du PRD, en désaccord avec cette tactique électorale, a étéexclue du PRD et a depuis forméle «Comité Politique pour les Pauvres»- PRD (KPRM-PRD) qui a pris une part active dans la campagne de boycott des élections.

Les questions de tactique électorale revêtent un caractère particulièrement complexe dans un pays comme l’Indonésie oùles règles ne permettent pas aux organisations progressistes et de gauche de mener campagne pour leur propre candidat. Cependant, en essayant à tout prix d’obtenir des députés, Dita Sari s’est mise au service de partis issus de la dictature et servant les intérêts économiques de la bourgeoisie. Cet opportunisme risque bien de semer de dangereuses illusions et ce positionnement pourrait bien affaiblir la gauche indonésienne.

Nombreux articles concernant les élections en Indonésie sur le site ESSF - rubrique Indonesian archipelago (en anglais)