L’entrée dans Mossoul de « l’État islamique en Irak et au Levant » (EIIL) et de groupes alliés, a été un choc qui rebat toutes les cartes dans la région.
À Mossoul, la troisième ville d’Irak, qui concentre 60 000 militaires et policiers, une force minoritaire a ainsi pu entraîner la fuite des commandants de l’armée, qui ont abandonné soldats et armes (kalachnikovs et hélicoptères...). Avec le « Conseil militaire des révolutionnaires d’Irak », une section du parti Baath de l’ancien dictateur Saddam Hussein, l’EIIL a profité d’une situation devenue explosive : en 2013, les forces du Premier ministre Maliki avaient dispersé les rassemblements de sunnites exigeant la fin de la discrimination confessionnelle. Le gouvernement avait donc laissé pourrir la situation, suscitant des réactions populaires violentes... et le recours à des organisations armées comme l’EIIL. Après avoir empêché une guerre civile en 2007, Maliki avait pourtant participé aux élections de 2010 sur une liste comprenant des sunnites et des personnalités de la société civile. Mais par la suite, il a voulu monopoliser le pouvoir par la réduction des prérogatives parlementaires, la manipulation du pouvoir judiciaire et l’affaiblissement des structures indépendantes. Il a fait abolir la loi interdisant un troisième mandat au poste de Premier ministre et menacé ses opposants. Il a contrôlé l’instance supervisant les élections de 2014. Avec la révolution syrienne, il a reçu des ordres de l’Iran : soutenir le régime syrien. Il est entré en conflit avec le Kurdistan qui aidait les Kurdes de l’opposition. Enfin, en écrasant toute représentation sunnite modérée, il a poussé les militants sunnites vers les extrémistes.
« Mobilisation nationale » ?L’EIIL et ses alliés ont attaqué Mossoul le 4 juin. Selon un témoin, les groupes armés ont protégé les banques, les bâtiments et les institutions. Le travail a repris dans les hôpitaux, les barrages ont été levés et le retour à la vie normale facilité. Les réseaux sociaux du Baath ont diffusé la nouvelle de l’établissement d’un « pouvoir du peuple, pluraliste, démocratique, libre, indépendant »... Nouvel « allié » du Baath, l’EIIL a aussi bénéficié du financement de régimes apparemment opposés mais d’accord sur la désintégration des peuples de la région : Qatar, Iran, Syrie et autres. Au troisième jour de l’occupation, l’EIIL a montré son véritable visage : viols de femmes, assassinat de l’imam, flagellation de jeunes, exode vers le Kurdistan, expulsion de chrétiens, mariage forcé de jeunes filles, massacre de 1 700 militaires chiites. Ils ont publié un document qui réglemente la vie des citoyens, incite les hommes à la prière collective, interdit le tabac, les drogues, les rassemblements et drapeaux de toute sorte, le port d’armes, etc. Ceci survient dans une ville historique connue pour la coexistence pacifique de ses populations : sunnite, chiite, arabe, turkmène, chaldéenne, syriaque orthodoxe, ou arménienne. Après le choc des premiers jours, l’EIIL et ses alliés occupant Tikrit et menaçant d’arriver à Bagdad, Najaf et Kerbala, le gouvernement a repris plusieurs localités. L’autorité suprême chiite, l’ayatollah Sistani, a édicté pour la première fois une fatwa appelant au combat mais a exhorté les citoyens à bannir tout comportement confessionnel nuisant à l’unité nationale. Avec l’intensification du siège de Tikrit, l’assaut de l’armée à Talafar près de Mossoul et l’embrigadement de volontaires, Maliki surfe maintenant sur une mobilisation populaire, y compris sunnite, et a inversé son discours, défendant maintenant une mobilisation nationale non confessionnelle. Quant à Obama, confronté au bilan désastreux de la politique américaine dans la région, il a conditionné son aide à l’Irak à une solution politique entre Maliki et ses anciens partenaires, en même temps qu’il se rapproche du pouvoir iranien.
Saïd Karim