L’assassinat du général iranien Qassem Soleimani par les États-Unis, le 3 janvier à Bagdad, est un coup de tonnerre dans un ciel déjà fort peu serein. C’est un sérieux palier qui a été franchi par Donald Trump, dont la principale conséquence sera d’approfondir encore un peu plus le chaos dans la région.
La riposte qui vient
Qassem Soleimani était une figure essentielle du régime iranien. Commandant de la Force Al-Qods, l'unité d'élite des Gardiens de la révolution, il était considéré comme le numéro 2 du régime, juste derrière l’Ayatollah Khamenei, actuel Guide suprême de la révolution islamique. En s’en prenant à Soleimani, Trump a donc décidé de frapper très fort, au risque de provoquer une ou des ripostes d’ampleur de la part de l’Iran qui a démontré, au cours des derniers mois et des dernières années, qu’il était en capacité d'agir militairement bien au-delà de ses frontières.
Les « résultats » ne se sont d’ailleurs pas fait attendre, avec en quelques jours l’annonce faite par l’Iran de son émancipation de l’accord sur le nucléaire, en s’affranchissant du nombre limite de centrifugeuses, et avec le vote par le Parlement irakien d’un texte demandant le départ des troupes US toujours stationnées en Irak. L’Iran a en outre fait part de son intention de « venger » militairement l’assassinat du général Soleimani, sans que l’on sache exactement le type et l’ampleur de la riposte envisagée. Les cibles probables sont les soldats, les navires et/ou les bases US dans la région, ainsi que les alliés des États-Unis. Une chose est certaine : l’Iran répondra, directement ou via l’un des groupes armés qui lui sont liés, tant l’affront causé par la mort de Soleimani ne peut, aux yeux du régime et de la population, demeurer sans réaction.
De son côté, Donald Trump, ovationné par son homologue israélien Benyamin Netanyahou, adepte des « assassinats ciblés », a annoncé qu’en cas de riposte de l’Iran les États-Unis lanceraient une opération d’envergure contre 52 sites « de très haut niveau et très importants pour l’Iran et pour la culture iranienne ». Une surenchère verbale à prendre au sérieux lorsque l’on connaît le tempérament de Trump et sa conception de la politique, vue comme le domaine des hommes virils et brutaux, au mépris des possibles conséquences de décisions pouvant entraîner des réactions en chaîne incontrôlables. Indice parmi d’autres de la mentalité de Trump : le nombre de 52 a été choisi en référence aux 52 otages de l’ambassade US en Iran en 1979…
Anti-impérialistes, pas campistes
Dimanche 5 janvier, Macron s’entretenait au téléphone avec Trump pour l’assurer de son « entière solidarité ». On apprend ainsi, dans un communiqué de l’Élysée, que « [Macron] a exprimé sa préoccupation concernant les activités déstabilisatrices de la force Al Qods sous l’autorité du général Qassem Soleimani, rappelé la nécessité que l’Iran y mette maintenant un terme et s’abstienne de toute mesure d’escalade militaire susceptible d’aggraver encore l’instabilité régionale. » Une position de laquais de l’impérialisme US, avec, aux lendemains d’une agression caractérisée, une stigmatisation de l’État agressé et un soutien à l’État agresseur.
Nous devons dire, haut et fort, notre condamnation de l’assassinat de Soleimani, notre opposition aux aventures militaires meurtrières de Trump et de ses alliés, dont la France, et exiger qu’ils stoppent toutes leurs interventions et ingérences militaires dans la région. Ce qui ne doit pas nous amener, toutefois, à repeindre l’Iran en force anti-impérialiste, avec un Soleimani érigé en martyr et ami des peuples opprimés. Ce dernier est en effet, entre autres faits d’armes peu glorieux, celui qui a dirigé l’intervention iranienne en Syrie, destinée à détruire, au côté des forces russes, le soulèvement anti-Assad, avec pour résultat des centaines de milliers de mortEs et des millions de réfugiéEs et déplacéEs. Trump ne vient pas de déclarer une guerre, mais de jeter un immense bidon d’huile sur le feu d’une région où les rivalités inter-impérialistes, les ambitions des puissances régionales et les politiques autoritaires se nourrissent pour écraser les peuples. Ainsi, l’une des conséquences de l’assassinat de Soleimani pourrait être l’affaiblissement du mouvement populaire en Irak, au nom de l’unité nationale, de la solidarité avec l’Iran et de l’opposition aux USA. Sans même parler des forces progressistes iraniennes, moins de deux mois après le soulèvement contre la vie chère et contre le régime, réprimé dans le sang.
L'anti-impérialisme ne peut s’abstraire des contradictions de la situation internationale et régionale et céder au raccourci d’une vision en noir et blanc des dynamiques sociales et politiques. L’agression perpétrée par les États-Unis ne peut en ce sens valoir absolution de l’Iran et de sa politique expansionniste et réactionnaire, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières, ni de sa politique d’alliance avec la Russie impérialiste de Poutine. Ce serait un bien mauvais service à rendre aux forces progressistes iraniennes, aux populations de la région, et la nuance dans l’analyse ne signifie aucunement un affaiblissement de l’opposition absolue aux politiques impérialistes des États-Unis et de leurs alliés, bien au contraire. Mais nous n’oublions pas les autres forces impérialistes et réactionnaires et reprenons, dès lors, à notre compte, les mots de nos camarades de l’Alliance des socialistes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord : « L’opposition aux bombardements et aux menaces de guerre de l’impérialisme US contre l’Iran ne peut être effective que si elle s’inscrit en solidarité avec les forces progressistes et révolutionnaires de la région Moyen-Orient-Afrique du Nord, et en totale opposition aux gouvernements autoritaires et aux pouvoirs impérialistes régionaux » (1).
Julien Salingue
(1) « Oppose U.S. and Iran War by Showing Solidarity with Uprisings in the MENA Region »