Publié le Mercredi 15 juin 2016 à 10h54.

Italie : Pouvoir sanctionné, perspectives à construire...

Le 5 juin a eu lieu une journée importante d’élections municipales, pour 1 300 municipalités (sur 8 000). Parmi celles-ci, presque toutes les plus grandes villes du pays : Rome, Milan, Turin, Bologne, Naples.

Au-delà de l’élection des maires et conseils municipaux, le vote revêt un sens politique très fort. On pourra faire une évaluation plus approfondie des résultats après le second tour qui aura lieu le 19 juin. Mais on peut déjà souligner plusieurs éléments importants.

Renzi recule, le patronat s’inquiète

D’abord, la participation qui diminue encore, chutant de 67 % à 61 %.

Mais le trait politique le plus marquant est la forte perte de consensus du parti au pouvoir, le Parti démocratique (PD), héritier du Parti communiste italien, désormais à ranger parmi les forces du social-libéralisme. Au-delà des résultats des mairies, le parti de Matteo Renzi, bien que généralement soutenu par des coalitions plus larges que le seul PD, perd partout des voix : 25 000 à Milan, 31 000 à Turin, 71 000 à Rome, 14 000 à Naples.

Ainsi, le centre-gauche de Renzi risque de perdre le contrôle des métropoles : à Rome (où le Mouvement 5 étoiles (M5S) de Beppe Grillo se trouve en tête du ballottage avec 10 points d’avance...), à Turin (où le candidat PD sortant devra affronter la candidate M5S qui a quintuplé les voix de son mouvement), à Bologne l’ex-« rouge » (où il se bat contre la candidate de la Ligue du Nord), à Milan (où le candidat de Renzi est arrivé à égalité avec le candidat de droite)... Et la ville de Naples (où le duel aura lieu entre Luigi De Magistris, un candidat que l’on pourrait comparer aux maires de Madrid, Cadix ou Barcelone, et le candidat de droite) est déjà perdue !

Ces résultats inquiètent les classes dominantes et la Confindustria (le Medef italien) qui, face aux difficultés et aux divisions de la droite, voit désormais depuis longtemps dans le PD le point de repère le plus fiable. Cela inquiète aussi le patronat parce que tout cela a lieu peu de temps avant le référendum d’octobre sur la réforme de la Constitution voulue par le gouvernement (et soutenue par la Confindustria). La situation se complique donc car en cas de défaite au référendum, le gouvernement a déjà annoncé qu’on irait presque aussitôt vers de nouvelles élections. Pour le patronat le risque d’une victoire de M5S deviendrait alors bien concret.

Le M5S : entre protestation, interclassisme et populisme

Le mouvement de Beppe Grillo avait déjà obtenu aux élections législatives en 2013 des résultats importants en tant que vote protestataire (25,6 %. Avec les résultats obtenus le 5 juin dans des villes importantes et décisives (Rome à 35,2 % et Turin à 30,9 %), il apparaît désormais pour une tranche décisive de l’électorat (en particulier populaire et jeune) une alternative concrète au gouvernement actuel.

La nature de M5S est complexe. C’est le fruit de la crise de la politique traditionnelle, de la crise en parallèle de l’ex-gauche (qui s’est transformée en PD de Renzi) et de la droite (privée désormais de Berlusconi qui servait de lien entre ses différentes composantes), des scandales qui éclatent presque chaque jour dans les institutions nationales et locales et où sont impliqués tous les partis traditionnels.

Mais c’est aussi le produit de la crise du mouvement social et des luttes, crise qui a transformé l’Italie en l’un des pays les moins vivaces politiquement et socialement dans toute Europe. Souvent le M5S est comparé au Podemos espagnol. Mais il y a une différence fondamentale : Podemos est le résultat de la volonté d’une grande partie du 15M (les Indignés) et des Mareas de 2011 de peser aussi sur le plan politique, alors que le M5S est né complètement « à froid », dans un panorama marqué par une paralysie sociale très forte.

En outre, le M5S, par la volonté de ses fondateurs, essaie obstinément de montrer un visage fortement interclassiste où, au mieux, ses interlocuteurs sociaux privilégiés sont la petite entreprise et les professions libérales, tirant profit de la disparition de la classe des travailleurs sur le terrain politique. Le mouvement ne rechigne pas non plus à utiliser des arguments démagogiques, tel le sentiment sécuritaire contre l’immigration, ou populistes, comme l’opposition entre travailleurs du secteur privé et de la fonction publique. Cela même si, pour ces élections, étant bien conscient qu’il pouvait ramasser une partie importante des électeurs de gauche dégoûtés par la politique de Renzi, le M5S a aussi adopté certains mots d’ordre progressistes, tel que le refus des privatisations des services publics.

Et enfin, il est le résultat de la crise sans fin de la gauche « radicale » italienne qui a commencé après l’échec de sa participation avec le PD au gouvernement de Prodi (2006-08), une crise qui se reconfirme à nouveau dans ces élections avec des résultats qui chutent au-dessous de ceux de toutes les élections précédentes...

De Rome, Fabrizio Buratti