Bruxelles, les voitures incendiées par les agriculteurs en révolte contre le Pacte vert de l’UE sont le symbole de ce nouvel événement de la tragique décennie 2020 tandis que les médias dominants se déchaînent avec des accusations mutuelles de populisme, associées tant aux instrumentalisations de la droite qu’à « l’extrémisme » de la gauche radicale.
Si l’instrumentalisation de la protestation par les différentes âmes de la droite souverainiste est bien réelle, la question est cependant beaucoup plus complexe. Il s’agit en effet d’un autre dénouement du monde capitaliste post-1989 : le « néolibéralisme global » qui s’articule à l’effondrement de la gauche sociale. Autrement dit, nous nous situons à une étape décisive de la mise en œuvre du système dit du « turbo-capitalisme » dénoncé par l’ancien mouvement de Seattle. Celui-ci fonctionne à travers une structure mixte de délocalisation industrielle et agraire dans les prétendus nouveaux marchés des pays émergents en contournant ainsi toutes les garanties sociales, environnementales et liées aux droits des travailleurEs. Tel est le nouvel ordre post-20e siècle.
Les paradoxes du système de la dérégulation du capital
Dans un contexte de dérégulation totale et de forte concentration du capital mondial dans quelques trusts financiers liés aux banques centrales occidentales, le nouvel ordre agit sous la bannière du mythe de la libre entreprise comme Deus ex machina total.
À cela s’ajoute la dévaluation totale de la composante concernant le produit, le travail, les salaires, à travers l’affirmation d’une doctrine économique qui est aussi la devise de nombreux fondateurs des médias sociaux et selon laquelle les gens sont maintenant une marchandise.
Dans ce contexte, on voit apparaître différents paradoxes.
Premier paradoxe : pour survivre dans ce féodalisme néolibéral, les anciennes politiques coloniales doivent être mises en œuvre non seulement dans les pays colonisés, aujourd’hui dits « en voie de développement », mais aussi en Occident.
Deuxième paradoxe : pour ce faire, l’entreprise agricole doit fusionner ou se soumettre à un nouveau monopole, celui des sociétés multinationales, des trusts et des sociétés fiduciaires. D’où sa destruction ou son exploitation.
Troisième paradoxe : pendant des décennies, le système dominant dans le secteur agricole a imposé des réductions de salaires, un marché du travail sauvage appliqué aux moyennes et petites entreprises et la surexploitation de la terre notamment avec les monocultures. Aujourd’hui, avec la crise du début du 21e siècle, de la guerre en Ukraine au changement climatique, en passant par le covid-19 et l’émergence des BRICS, du groupe Alba (Alliance bolivienne pour les Amériques), de l’Axe de la résistance et d’autres réalités multipolaires, le tournant vert, certes indispensable, provoque une réaction explosive.
Un sujet politique unitaire à construire
En ce sens, le désastre provoqué est ensuite condamné et brusquement sous-évalué par ses propres architectes, dans un cadre économique dominé par un capitalisme en crise, qui assume des traits entre le grotesque, le tragique et le dramatique. Pour donner un exemple : les discours des leaders de la révolte continuellement repris par les médias et portant sur « la concurrence déloyale des produits étrangers, le blé ukrainien ayant provoqué un effondrement des prix » et ainsi de suite, n’est rien d’autre que la première formulation faite au moment de la mise en place du néolibéralisme mondial concernant précisément la dynamique du marché sauvage. Un argument qui peut très bien s’appliquer à tous les secteurs qui ont subi pendant quarante ans une même politique économique libérale à l’échelle planétaire. Celle-ci a été accompagnée par la création de nouveaux sujets du « prolétariat » pour ainsi dire, des travailleurEs précaires aux migrantEs en passant par les travailleurs temporaires et, si l’on veut, même les agriculteurs des petites exploitations locales.
Toutefois, dans le contexte actuel de la révolte de l’agriculture, l’élément le plus important, le sujet antagoniste unitaire, semble manquer au profit d’un chaos fluide. Alors que l’extrême droite, populiste, radicale, souverainiste, aura toujours la capacité de manipuler et finalement de maintenir le statu quo global, la « gauche », ayant abdiqué à ses principes, pourra continuer à se porter garante de ces politiques désastreuses.
Marco Giuseppe Toma (RES)