Poindimié est une commune de 5 000 habitant·es située sur la côte est de la Grande Terre en province nord. Ici, 76 % des habitant·es sont kanak, 16 % européen·nes, et suivent des originaires du Vanuatu, du Japon, de Wallis, etc. Les Kanak vivent dans des villages (dits tribus) sur le bord de la mer et dans les vallées qui entourent ce centre administratif et commercial.
Poindimié, 19 février 1988
Les habitants de la tribu de Tiéti à l’entrée nord du village sont mobilisés. Ils s’opposent au projet de construction d’un hôpital sur des terres jouxtant la tribu. Les habitants manquent d’espace pour installer les jeunes adultes et leurs cultures vivrières. Un escadron de gardes mobiles armés protège le terrain revendiqué. Après une journée de face-à-face tendu, les militant·es attaquent le cordon de gendarmes, les désarment et les retiennent prisonnier. Après des négociations, les gendarmes sont libérés et de nombreux militant·es incarcéré·es. À l’entrée sud du village, la tribu de Tibarama accueille le congrès du front, pendant trois jours des centaines de militant·es vont délibérer. Le congrès est protégé par des militants armés de fusils de chasse, les voitures sont fouillées, pas une arme ni une goutte d’alcool ne doivent entrer. Le congrès adoptera les motions qui donneront le signal du boycott actif des élections locales et nationale de mai 1988. Au village des européen·nes, caldoches et zoreils s’organisent en milice armée, pour défendre leurs propriétés, leurs privilèges et leur mode de vie. Depuis le début de la colonisation, les Kanak ont été chassé·es des vallées, les colons se sont appropriés les terres fertiles. Dans de nombreuses tribus il n’y a ni eau potable ni électricité. Les terres manquent pour les cultures vivrières. Dans les services publics et administratifs défaillants ainsi que les commerces, les Kanak sont rares à y travailler.
Poindimié, 16 mai 2024
À l’initiative « des jumeaux », les bouchers du village, les habitants du centre administratif majoritairement non kanak, commerçants, artisans, personnels soignants, enseignants, employées se sont regroupés pour se rendre ensemble à la rencontre des militant·es au QG de la mobilisation initiée par le FLNKS. Depuis une semaine, des barrages filtrants sont installés aux entrées du centre administratif. Des rondes sont organisées pour assurer la sécurité des biens et des personnes.
À leur arrivée au QG, les jumeaux invitent les habitants à déposer les fruits, les tissus, les victuailles, sur la natte. Les habitant·es et militant·es de Tiéti sont regroupé·es pour accueillir les invité·es. Ici tout le monde se connaît au moins de vue. Les prises de parole se succèdent. La cérémonie d’accueil se termine par la lecture d’un communiqué de la jeunesse kanak mobilisée. « Sur les barrages nous avons beaucoup discuté avec les anciens sur les mobilisations de 84-88. Les actions organisées, les violences, la répression. Nous avons beaucoup discuté et réfléchi pour prendre la décision : faire autrement, se mobiliser pacifiquement, et appeler les autres à nous rejoindre pour construire une Kanaky souveraine et obtenir le retrait du projet de réforme du corps électoral ». Les échanges se poursuivent autour d’un café pris dans la cuisine collective qui alimente les barragistes.
1984-2024, Kanaky en construction
Depuis 1988, la commune et la province Nord sont gouvernées par des élus du FLNKS. Paul Néaoutyine, le maire, est aussi président de la province, et est un des fondateurs historiques du PALIKA. Il vit sur les terres de son clan dans la vallée d’Amoa.
Aujourd’hui une route traverse la chaîne de montagne et relie Poindimié à Koné la capitale de la province sur la côte ouest qui abrite la mine de nickel du Koniambo, et l’usine sidérurgique. La route, la mine (appartenant à la SMSP société publique minière appartenant à la province Nord) et l’usine sont la concrétisation de revendications des populations, et du FLNKS, pour rééquilibrer le pays. Jusqu’alors Nouméa à 350 km au sud concentrait l’essentiel des richesses, des industries, des services publics (santé, éducation...).
Poindimié n’est pas une ville minière. L’agriculture vivrière, la pêche, l’artisanat, le tourisme, le commerce – car Poindimié est un centre commercial pour les populations du nord-est du pays – sont les principales activités économiques. Les services publics d’éducation (de la maternelle au lycée), de santé (un petit centre hospitalier et les dispensaires), les travaux publics, l’énergie génèrent de nombreux emplois salariés.
Les terres occupées par les colons ont été restituées aux Kanak, ce qui a permis un développement de l’agriculture vivrière, de petits élevages. L’électrification et l’eau courante se sont généralisées. Depuis 20 ans, la commune accueille chaque année le Festival international du cinéma des peuples Anûû-ru Aboro (« l’ombre de l’homme » en langue Païci pour traduire « cinéma »). Des dizaines de réalisateurs de films documentaires amazonien, aborigène, maori, palestinien, kurde, basque, tamoul, sénégalais, chinois, vietnamien, papou, cubain, etc. sont venu·es présenter leurs films dans les tribus, à la médiathèque du village. Le soir autour du repas, habitants et réalisateurs échangent. On y parle cinéma et lutte des peuples. Des liens se nouent. Les réalisateurs palestiniens ramènent chez eux le drapeau kanak et le portent en tête de cortège lors d’une manifestation contre les forces d’occupation. C’est lors du premier festival que la province Nord a annoncé sa volonté de créer une chaîne de télévision faite par et pour les gens du pays. Des jeunes sont envoyé·es en formation. Aujourd’hui Caledonia TV est la deuxième chaîne en audience du pays. Elle est faite par une équipe à l’image de la Kanaky, c’est « notre télé, et nos jeunes qui y travaillent ».
La scène musicale est variée (Kaneka, reggae, rap, soul, rock etc.) et les groupes de la commune connus dans tout le Pacifique…
La commune est divisée en deux districts coutumiers où s’organise la vie quotidienne des Kanak. L’état civil, les affaires familiales (mariages, divorces, successions, adoptions etc.), le foncier, les règles du vivre ensemble sont gérés selon les us et coutumes Kanak.
Les associations de femmes, de parents d’élèves, des groupements d’habitants se mobilisent régulièrement pour porter leurs revendications. L’alcool, les violences contre les femmes, les déficiences des services publics, la petite délinquance, l’échec scolaire sont autant de sujets qui mobilisent des collectifs d’habitant·es et qui exigent des réponses des institutions, de l’État français, mais aussi de la province et de la mairie.
Mais il n’y a pas de paradis sur terre. La crise économique, la mise en sommeil de l’usine sidérurgique et l’offensive colonialiste de Macron, remettent en cause toutes les conquêtes issues de l’insurrection du peuple Kanak en 1984-88. Les services publics manquent de moyens et de personnel, les subventions au secteur culturel diminuent et l’inflation impacte le pouvoir d’achat.
Alors que Nouméa la blanche est en feu, Poindimié est mobilisée pour protéger les acquis de la lutte initiée par les vieux, il y a des décennies, pour les droits du peuple Kanak et la pleine souveraineté de Kanaky Nouvelle Calédonie.