Mercredi 9 janvier, Sakine Cansiz, Findan Dogan (Rojbin) et Leyla Soleymez ont été exécutées en plein cœur de Paris dans le local du CIK (Comité d'information sur le Kurdistan), de toute évidence par un ou des tueurs professionnels.Depuis l'assassinat de Mehdi Ben Barka, les crimes politiques à Paris se comptaient sur les doigts d'une main, Henri Curiel, Pierre Goldman, Mahmoud Hamchari, représentant de l'OLP assassiné par le Mossad, Dulcie September de l'ANC en 1988 et très récemment le 8 novembre dernier, Paruthi, un responsable Tamoul.Les trois femmes assassinées avaient des profils très différents même si elles avaient en commun leur engagement dans la lutte pour la reconnaissance des droits du peuple kurde.Sakine Cansiz était une icône du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) dont elle avait été un des membres fondateurs avec Abdullah Ocalan. Marxiste et féministe déterminée, elle s'était toujours battue pour que les femmes aient un rôle et une place reconnus dans la lutte. Emprisonnée à la fin des années 70 à Diyarbakir au Kurdistan de Turquie, elle y avait été atrocement torturée et mutilée. Sa réponse avait été de cracher au visage de ses bourreaux. Findan, fille de réfugiés, avait grandi en Europe et représentait la nouvelle génération des militants kurdes. C'était une militante infatigable à Bruxelles et à Paris où elle rencontrait régulièrement les élus pour expliquer la cause kurde. Leyla Soleymez était aussi un exemple de cette nouvelle génération.Erdogan veut négocierCes meurtres interviennent dans un contexte bien particulier. Depuis quelques semaines, le Premier ministre turc Radgyp Erdogan et l'AKP, le parti islamiste au pouvoir, tentent d'obtenir un désarmement de la résistance kurde. Le chef du MIT, la police secrète turque, s'est rendu sur l'île d'Imrali où est emprisonné Abdullah Ocalan, et des parlementaires du BDP (le parti kurde héritier de DEP, HADEP et autres avatars car le parti est régulièrement dissous et interdit) ont pu rendre visite à Ocalan.Depuis son kidnapping en 1999, Ocalan était maintenu dans un isolement complet et l’État turc se refusait à négocier avec les « terroristes » kurdes, malgré les nombreuses initiatives du PKK et les multiples cessez-le-feu unilatéraux. Les raisons de ce changement sont sans doute à chercher dans les prochaines élections en Turquie, où Erdogan se verrait bien élu Président avec des prérogatives considérablement renforcées par rapport au statut actuel.Ce changement est aussi lié aux bouleversements régionaux entraînés par les révolutions arabes. Il y a seulement deux ans, la Turquie avait de grandes ambitions régionales et son projet de barrage sur l'Euphrate lui donnait la clé de l'approvisionnement en eau d'une grande partie du Moyen-Orient. Mais la révolution égyptienne a changé la donne. En Syrie, la province à majorité kurde du nord du pays a conquis une autonomie qui devrait perdurer, quelle que soit l'issue de la révolution syrienne. En Irak, le Kurdistan autonome est devenu une telle épine dans le pied du pouvoir qu'El Maliki parle ouvertement de « séparation » officielle.Dans ce contexte, une solution négociée entre le gouvernement turc et le PKK, donnant une quelconque forme d'autonomie, au moins sur les questions d'éducation en langue kurde, de médias et de culture, ressemble à un chiffon rouge agité au nez des Kémalistes qui rêvent toujours de la « grande Turquie ». Or l'armée, même si elle a été « nettoyée » par le gouvernement de l'AKP qui a mis à la retraite de nombreux généraux, reste profondément kémaliste et dispose d'un appareil parallèle. Les crimes commis à Paris portent la marque des crimes d’État, et la police française ne devrait pas avoir trop de mal à retrouver les assassins, puisque les locaux et les militants des associations kurdes sont surveillés en permanence dans le cadre des accords de coopération avec la police turque.M.C.