Entretien avec Michel Warschawski (fondateur du Centre d’information alternative de Jérusalem-AIC).Printemps arabe ? Automne israélien ? Le plus préoccupant, et même plus, c’est l’indifférence de l’opinion publique israélienne et de la classe politique par rapport aux bouleversements de la région, aux frontières même d’Israël.Alors que le monde entier est interpellé par ce printemps arabe, Israël est enfermé dans son bunker. Beaucoup de temps pour réagir, une réaction avant tout déphasée, les dirigeants ont dû faire semblant d’être contents d’un grand mouvement démocratique et populaire, mais la chute de Moubarak a été vécue comme une menace. Avec des institutions, avec des gouvernements, on croit savoir quoi faire : la paix ou la guerre, froide ou chaude. Quand le peuple apparaît, on est désarçonné et inquiet parce que les masses arabes, voire musulmanes, sont identifiées à une populace fanatisée. Même si le mouvement populaire égyptien ou tunisien n’a rien à voir avec les courants islamistes, on les a immédiatement décrits comme s’ils allaient le devenir, et ils étaient donc une menace. « Derrière tout ça, il y a Al Qaïda, le Hezbollah, le Hamas », l’un et l’autre assimilés à Al Qaïda alors que cela n’a rien à voir. De l’indifférence, on est passé à une grande inquiétude face à un phénomène ingérable.Comment ont réagi les anticolonialistes et les « partis arabes » en Israël ?Quelques petits rassemblements de soutien, avec le mouvement populaire égyptien (quelques dizaines de personnes). Peu d’expression, l’AIC a organisé des discussions à Bethléem. On parle de le faire à Jérusalem. L’opinion publique palestinienne a vibré avec les masses arabes. La réalité d’un printemps arabe est la consécration des analyses d’Azmi Bishara, l’ancien député du parti Balad devenu journaliste sur Al Jezeera : il était jusque-là fort seul à penser « révolution arabe » parmi les intellectuels militants palestiniens, nationaliste arabe avant d’être un nationaliste palestinien. Les dirigeants du PC israélien étaient des proches de Moubarak et ont perçu sa chute comme négative, avant de corriger le tir.Il faut comprendre que les dirigeants du PC ou de la Liste arabe unie (conservateurs et islamistes modérés) sont régulièrement les hôtes des pays arabes et donc de leurs gouvernements, qui manœuvrent entre liens avec Israël et soutien affiché, même si c’est formel, aux revendications palestiniennes. D’ici, on a eu l’impression que la société civile palestinienne voulait marquer sa solidarité et que tant l’Autorité palestinienne que le Hamas ont voulu contenir ce soutien.Hamas et AP s’avèrent des forces de l’ordre et n’ont pas moins peur que n’importe quel régime arabe de l’action populaire, à terme incontrôlable. On a parfois exagéré la répression des premières manifestations. En fait, ils ont réagi comme des flics. Ces manifestations n’ont pas été aussi massives qu’on aurait pu le penser. Mais même limités, des campements de jeunes à Bethléem sur la place de la Nativité et à Ramallah en soutien aux mouvements égyptien et tunisien, et avec la revendication spécifique de l’unité nationale, ont une grande importance symbolique. En Cisjordanie, il y a une « dénationalisation » provisoire des mentalités. On est moins dans le combat national que dans la reconstruction individuelle et locale. C’est la victoire de la ligne Fayyad. Beaucoup d’argent circule. Les villes-enclaves palestiniennes connaissent un mieux-être et une sécurité relative. La population est encore groggy de la reconquête de 2000 /2005 où une population entière a été cognée, matraquée : c’est plus le matraquage, la destruction, que les morts.Le risque est réel d’une cassure entre les villes et les campagnes, où la totalité des colons, de la colonisation et de l’occupation ne diminuent pas.Dans les reportages internationaux, on parle beaucoup de la normalisation dans les villes, mais on oublie Gaza et les campagnes. Ne peut-on imaginer, étant donné ce printemps et sa prise en compte par l’administration américaine, un changement de stratégie de la part de Netanyahou ? Dès que ça bouge dans le monde arabe, on sort le casque et le fusil. Où allons-nous attaquer maintenant ? On le sait : les bombardements de Gaza et tout un travail de préparation « psychologique » sur l’armement dont disposerait le Hezbollah. Israël recherche un nouveau front pour casser le mouvement par une riposte militaire, croyant qu’une attaque militaire majeure pourrait provoquer une redistribution des cartes moins préoccupante. Je vois par exemple difficilement le gouvernement Netanyahou accepter un acte symbolique comme la flottille. Son arrivée à Gaza serait perçue comme une défaite. Au niveau public, on ne traite les questions qu’au dernier moment. Il y a un débat permanent dans la classe politique israélienne sur l’isolement international d’Israël, débat qui traverse le ministère des Affaires étrangères. Comment réagir ? Lieberman dit : « on n’en a rien à foutre ». Et s’il y avait reconnaissance de la Palestine par l’ONU elle-même ?Ce serait une nouvelle défaite avec des répercussions qui vont au-delà.La présence militaire et l’occupation seraient considérés directement comme des actes d’agression. L’extrême droite répond : si l’ONU fait cela, « on va prendre des sanctions ».Contre le Brésil ? Bien sûr que non. Contre les Palestiniens, comme d’habitude. Israël menace de mesures unilatérales dans les territoires occupés (comme si ce n’était pas déjà le cas). Israël dit sans rire que cette reconnaissance serait une violation des accords d’Oslo et une remise en cause du processus de paix. Ton message au mouvement de solidarité ?BDS. La loi votée par le Parlement israélien qui criminalise toute forme d’appel à des sanctions y compris juridiques est en soi la preuve que les autorités israéliennes sont sensibles à cette campagne, moins sur le plan économique (les dégâts sont relativement restreints) que sur le plan politique, avec le sentiment d’isolement grandissant. Ce sentiment d’isolement peut-il aboutir rapidement à un tournant dans l’opinion israélienne sur la stratégie politique ? Oui, à la condition qu’il passe par Washington. Les tensions entre Israël et Washington sont connues. Quand et si l’administration américaine décide de passer d’un malaise dans les relations à une crise (comme avec Bush père), à ce moment-là, les chances d’un glissement de l’opinion israélienne sont importantes. Ce n’est plus pensable pendant le premier mandat d’Obama. On ne peut pas l’exclure dans le second.Le discours du Caire est la feuille de route. Si elle est appliquée...Le veto américain souligne qu’Israël a besoin du soutien US et le fait savoir : cette dépendance, marquée par le dernier veto des USA à une résolution du Conseil de sécurité condamnant la colonisation, n’est pas sans contrepartie ultérieure éventuelle. Parce que le veto américain était acquis, le vote européen était purement formel. Comme l’a dit le ministère des Affaires étrangères, « heureusement, on a l’Europe ». Berlusconi et Sarkozy compensent le « communisme pro-arabe d’Obama », comme le disent les néoconservateurs américains. À vous de faire en sorte qu’on n’en reste pas là.
Propos recueillis par Roger Devaneuse