Vous souvenez-vous du printemps dernier ? De la « première vague », des drapeaux, des chansons aux balcons, du « tout ira bien » ? Quelqu’un avait même pensé – et dit – que de cette histoire devait sortir quelque chose de bon, que rien ne pouvait redevenir comme avant. Une sorte de promesse de changement flottait dans l’air. Foutaises !
Non, ils n’avaient pas laissé entendre que quelque chose devait changer : c’est nous qui avions mal compris. Des héros, les travailleurEs de la santé ? En fait, elles et ils font partie de la fonction publique... et, on le sait, travaillent moins que les autres, et sont mieux payéEs, et ne sont pas en chômage technique, et ce sont des paresseux : bref, des privilégiéEs.
Il serait peut-être temps de changer quelque chose
Ces travailleurEs du secteur public ont quand même eu le courage d’appeler à une grève, le 9 décembre, pour le renouvellement de leur convention nationale de travail. Pourquoi ? Parce qu’en Italie il y a environ 20 % d’agentEs publics de moins que dans le reste de l’Europe, parce qu’il est sûr qu’ils et elles ne sont pas les mieux payés de ce continent et parce que leurs conventions collectives sont caduques depuis des années. Parce que, disent-ils aussi, vu que cette crise sanitaire a frappé et frappe encore les services publics des coups les plus durs, vu que beaucoup d’entre eux sont précaires et travaillent dans des conditions indignes, vu qu’ils et elles ont affronté la situation d’urgence du Covid quasiment à mains nues, vu qu’il manque de l’argent (beaucoup) et des personnels (beaucoup) et vu que la santé, les transports, l’école et les collectivités locales ont subi l’épreuve du Covid alors qu’ils étaient déjà détruits et démantelés par des années de privatisations et d’austérité budgétaire, il serait peut-être temps de changer quelque chose. Peut-être de concrétiser certaines des promesses qui les avaient fait se tenir tranquilles il y a quelques mois.
Un bouc-émissaire commode
La seule réponse venue d’en haut – un peu hystérique et un peu trop prévisible pour être crédible, soit dit entre nous – a été au contraire de dire que les employéEs du public sont des fainéantEs et des lâches, parce que, alors que les pauvres livreurEs à domicile indépendants se tuent au travail et que les travailleurEs en chômage technique ont faim, elles et eux travaillent peu et sont très bien payés. Dommage que ceux qui disent ça soient d’élégants messieurs et de paisibles gentilhommes qui savent peu de choses du travail, le vrai, par exemple celui des institutrices ou des infirmières. Ministres, philosophes à deux balles, serial killers du journalisme, experts de statistiques bizarres, entrepreneurs, politiciens du centre-gauche et du centre-droit, qui se ressemblent de plus en plus... mènent une campagne furibarde qui sert en fait de prélude à une division du monde du travail et à la désignation d’un bouc-émissaire commode, chargé de tous les maux de la société italienne.
En fait, la grève est venue tard et elle est restée limitée. Elle s’est tenue au milieu de nombreuses difficultés — en particulier celle du smartworking1, qui ne favorise absolument pas les formes traditionnelles de lutte. La réponse aux graves manquements de l’État italien dans sa façon d’affronter la crise sanitaire après les premiers mois du Covid (peu ou pas d’euros pour renforcer la santé, écoles abandonnées à elles-mêmes, pas d’embauche dans les services, hégémonie du marché dans tous les aspects de la lutte face à l’urgence sanitaire) aurait dû être organisée avant, mieux, et en essayant d’impliquer l’ensemble des travailleurEs, pas seulement ceux et celles du public. En fait, l’un des mots d’ordre de cette mobilisation a été que le 9 décembre on faisait grève pour toutes et tous, en ayant conscience que l’emploi public est en première ligne dans la défense de la santé, dans la garantie de services essentiels pour toute la société et pour les droits sociaux des citoyennes et des citoyens. Rien à voir avec des fainéants !
Traduction Bernard Chamayou
- 1. La flexibilisation du travail « grâce » au numérique (NDT).