Publié le Mercredi 4 octobre 2017 à 19h47.

La rationalité mortifère de Kim Jong-un

Dans un contexte local et régional qui porte la marque de l’impérialisme US, les choix politiques du régime nord-coréen sont loin d’être irrationnels.

La responsabilité historique de l’impérialisme étatsunien dans la crise coréenne est évidente. La guerre de 1950-1953 n’avait rien à voir avec la défense de la démocratie (le régime pro-US au Sud était une dictature) ou avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : il s’agissait de contrer le régime maoïste et d’éviter la victoire d’une authentique révolution coréenne. Washington a toujours refusé de signer un traité de paix avec Pyongyang, même quand le régime nord-coréen était replié sur lui-même (le « royaume ermite »). L’état de guerre a donc été maintenu avec des implications très réelles mentionnées ci-contre.

Des accords diplomatiques limités à la menace directe

Dans le passé (sous Clinton notamment), des accords diplomatiques limités ont prouvé leur efficacité : du type aide énergétique contre gel du programme nucléaire – mais Washington a cessé plus ou moins rapidement de les respecter. Bien des voix autorisées se sont élevées cette année pour enjoindre à Donald Trump d’ouvrir des négociations avec Pyongyang, sans être entendu. La crise coréenne permet aux États-Unis de reprendre l’initiative en Asie orientale, à l’armée US de réclamer une augmentation de son budget et à Trump de faire un peu oublier ses déboires en matière intérieure. Pourquoi s’en priver ?

Le régime nord-coréen vit effectivement sous la menace, et cette menace est aujourd’hui active. Au vu du sort fait à Saddam Hussein en Irak ou à Khadafi en Libye, il est logique que Kim Jong-un ait conclu que les USA ne respectent que les États détenteurs de l’arme nucléaire. Comme maints experts l’ont souligné, les choix de Pyongyang sont rationnels : mais de quelle rationalité parle-t-on ?

Kim Jong-un a réinterprété la conception de la dissuasion nucléaire du faible au fort. Il aurait pu se contenter d’une capacité « dissuasive » ciblant la Corée du Sud et le Japon. Il prétend menacer directement les États-Unis. Malgré les progrès réalisés en ce qui concerne les missiles intercontinentaux, la technicité de la bombe ou la taille des ogives, il reste encore loin du compte. En revanche, il contribue à la relance d’une course générale aux armements (dont font partie les boucliers antimissiles) qui rétablit en permanence la prééminence US et a des conséquences délétères dans le monde entier.

Pacifisme régional

En choisissant l’escalade nucléaire, Kim Jong-un a rejeté une autre voie : mobiliser dans la région les aspirations populaires à la paix contre la politique guerrière des États-Unis. Or, ce choix alternatif était possible et pas simplement juste « en principe ». À preuve, le renversement de la droite revancharde en Corée du Sud et l’élection de Moon Jae-in – ou encore la force profonde du pacifisme japonais ; sans parler de la fragilité de Trump aux USA. Du Pakistan à l’Inde en passant par les Philippines, des mouvements antinucléaires et antiguerre existent qui pouvaient trouver, avec la crise coréenne, un point de convergence.

À l’ONU, 120 États ont adopté cette année un traité d’abolition de l’arme nucléaire. Tous ces combats se poursuivent donc, mais dans des conditions plus difficiles qu’avant la crise coréenne.

La rationalité de la politique de Kim Jong-un renvoie à la nature de son régime autocratique, dynastique, ethnonationaliste. L’idée même d’en appeler à la solidarité internationale, de favoriser le développement de mouvements populaires anti-impérialistes, de construire des alliances diplomatiques, de jouer sur les divisions internes aux États-Unis… lui est visiblement « organiquement » étrangère.

Dénoncer l’interventionnisme US est une chose, voir en Kim Jong-un un héros de la résistance à l’impérialisme en est une autre.