La demi-finale de la Coupe d’Afrique des Nations a coïncidé avec les célébrations du 14 Juillet en France. Une occasion d’observer que les rapports coloniaux fonctionnent toujours, mais qu’ils sont contestés par la jeunesse.
D’un côté, l’arrogance militaire de l’État français s’étale avec le défilé sur les Champs-Élysées, suivi de fastueux feux d’artifice. De l’autre, des SénégalaisES, des AlgérienEs mais aussi des jeunes de tous les horizons font la fête dans les quartiers populaires suite à la victoire de leurs équipes. Cette fête est non seulement ignorée par les pouvoirs publics et les autorités locales, mais surtout perçue sous le prisme du sécuritaire. Toute la soirée, les télévisions se sont inquiétées de savoir si la soirée allait « dégénérer », répétant à l’envi « jusqu’ici, tout se passe bien, il n’y a pas de débordement ».
Le colonialisme à la Une
Pour le pouvoir, pour les grands médias, il y a des fêtes acceptables, comme la victoire de la France à la Coupe du monde de 2018, qui avait pourtant donné lieu à 292 interpellations. Et il y a des fêtes intolérables, car elles sont le fait de Franco-algérienEs. Et dans les deux cas, une police qui réprime la joie des catégories populaires, et qui cible au faciès. Et, quand certains journalistes voient d’un bon œil la mobilisation populaire, c’est pour se féliciter du succès de la francophonie, comme dimanche soir sur BFM-TV !
On est au cœur du traitement colonial des populations immigrées et de leur descendance. Celui-ci est attisé par les propos d’élus de droite et du RN, qui nient continuellement l’existence d’un pays multiculturel, et d’une histoire qui transcende les frontières. Or, ce que révèlent les scènes de liesse populaire, c’est le besoin de reconnaissance des identités multiples. Et la réponse cinglante de Riyad Mahrez, qui a marqué un but décisif pour l’Algérie, à un élu du RN (voir « No comment ») illustre que les questions politiques se sont invitées dans la CAN : « Le coup franc était pour toi. On est ensemble. » Mahrez est un joueur binational, comme la moitié de l’équipe d’Algérie. Cette victoire est aussi celle de la jeunesse contre les racistes.
Les stades contre le pouvoir
Quelques heures plus tard, les joueurs de foot ont également repris des slogans de la mobilisation algérienne contre le pouvoir. Il faut dire qu’en Algérie, les scènes de liesse populaire pour la victoire de l’équipe nationale sont très liées aux manifestations du vendredi, qui ont puisé une bonne part de leur organisation, de leur dimension culturelle et de leur dynamique dans les stades. La chanson La Casa del Mouradia, dénonçant les conditions de vie et le régime, est née dans les tribunes des supporters.
Alors que dans les pays impérialistes, les grandes messes du sport sont souvent le lieu du déchainement nationaliste et de l’intolérance, dans les pays dominés et où les libertés démocratiques sont limitées, les masses se saisissent fréquemment du sport pour contester le pouvoir. Les performances des joueurs font alors plus écho au potentiel d’une jeunesse capable de transformer la société, mais qui pour cela a besoin de renverser le capitalisme en France comme en Algérie.
Antoine Larrache et Sellouma