Entretien avec Salih Azad, responsable du Centre démocratique kurde de Marseille.
Peux-tu nous présenter le Centre démocratique kurde de Marseille (CDK) ?
Le CDK est une association loi 1901 créée en 1990. Il se veut porte parole de la communauté kurde qui représente de 8 à 10.000 personnes sur l’agglomération Marseille- Aix, originaires de Turquie mais aussi de Syrie et d’Irak.
Quelle analyse fais-tu non seulement du régime d’Erdogan en Turquie, mais aussi de la situation dans cette région du monde (Kurdistan, Haut Karabagh…) ?
Cette partie du Moyen-Orient est stratégique pour l’Occident à cause des immenses réserves de pétrole et de gaz (en particulier le Kurdistan irakien et le Kurdistan iranien. Ces réserves énergétiques sont une des causes principales de l’occupation.
Le régime d’Erdogan n’est qu’une continuation de la politique de l’État turc depuis son origine ? La différence c’est qu’Erdogan ne craint pas de montrer sa politique répressive. La démocratie ne se « rétablira » pas avec son seul départ. Ce n’est pas une personne qui est en cause, mais un système. Un système basé sur la négation des droits, la déportation, la torture, les massacres (arméniens, kurdes, chypriotes grecs…).
L’Azerbaïdjan n’aurait jamais fait la guerre actuelle sans le soutien d’Erdogan. Il dit bien qu’il s’agit d’une nation et de deux états. Il y a volonté d’hégémonie sur l’Asie centrale pour le contrôle de l’oléoduc qui relie la Mer Caspienne à la Méditerranée. Si le régime turc parvient à établir une frontière commune avec l’Azerbaïdjan, il aura accès à l’ensemble de la région pour en exploiter les richesses. Il priverait ainsi la Russie d’une réserve d’énergie et d’une arme stratégique.
Le régime turc apporte aussi un soutien militaire à l’Azerbaïdjan et des djihadistes syriens sont impliqués dans la guerre au Haut Karabagh.
Les Kurdes ont toujours dénoncé la complicité d’Erdogan avec Daesh ont été en première ligne dans ce combat. La communauté internationale ferait bien de ne plus se contenter de discours à ce sujet… mais la Turquie fait partie de l’OTAN !
Quels sont vos rapports avec la communauté arménienne, très importante à Marseille ?
Nous avons de très bons rapports avec le Conseil de coordination des Arméniens de France (CCAF), somme solidaires de son combat pour la reconnaissance du génocide et dans son combat actuel.
Les enclaves azéries en Arménie et arméniennes en Azerbaïdjan étaient, dès le début, des bombes à retardement entretenues par la Russie, on en voit aujourd’hui les conséquences.
À ce propos, le CDK de Marseille travaille à une initiative commune avec la communauté arménienne pour dénoncer les crimes du régime Erdogan.
Vous avez un ensemble de valeurs qui sont aussi les nôtres (socialisme, internationalisme, laïcité, féminisme), vous avez à diverses reprises rencontré Philippe Poutou ou Olivier Besancenot et avez participé à des meetings du NPA. Ces positions font-elles débat chez les kurdes de Marseille ? Par ailleurs, la question d’un État kurde ne fait pas l’unanimité…
Débattre, c’est s’enrichir, mais ces valeurs, comme la question des rapports avec les peuples voisins, sont assez largement partagées.
Concernant l’État kurde, l’intérêt du peuple est prioritaire. Ne vaut-il pas mieux construire un système où tout le monde vit ensemble ? Nous sommes plutôt partisans d’une Union régionale entre Arabes, Turcs, Perses, et Kurdes, d’où l’importance de la laïcité et bien sûr de l’égalité hommes-femmes, valeur très importante pour les Kurdes.
Est-ce utopique ? Certes, des guerres ont ravagé ces régions, mais l’Europe s’est déchirée entre Français, Anglais, Allemands… pendant des siècles ça n’a pas empêché la construction européennes (sur des bases capitalistes contestables certes, mais…).
Pour nous ce qui prime c’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’autodétermination, et pas forcément la fondation de multiples états indépendants. C’est ça aussi, être internationaliste.
Quelle position en ce qui concerne le PKK, toujours sur la liste des organisations terroristes ?
La Cour européenne de Justice a jugé que le PKK ne saurait être considéré comme terroriste. Malgré ça l’UE sous la pression des États-Unis (et du régime turc, membre de l’OTAN) continue à criminaliser ce parti qui se bat plus que tout autre contre l’islamo-fascisme de Daesh.
Là encore on assiste au double langage de la communauté internationale qui ferme les yeux sur le régime Erdogan qui emploie des djihadistes, mais traite de terroriste l’organisation dont les militantes et militants donnent leur vie pour faire reculer, et souvent avec succès, les tueurs de Daesh.
Propos recueillis par Jean-Marie Battini