Publié le Mercredi 25 novembre 2020 à 10h50.

Le Covid en Calabre : une parabole italienne

La Calabre [région du sud de l’Italie], fin octobre, a été déclarée « zone rouge » par le gouvernement. Mais, alors que dans les autres zones rouges du Nord (Piémont et Lombardie) cette mesure a été prise relativement aux chiffres des contaminations et des décès, en Calabre, elle l’a été relativement à une situation d’extrême crise de la santé publique. Autrement dit : les Calabrais doivent rester enfermés chez eux parce que, dans leur région, il n’y a pas d’hôpitaux. Pourquoi, en Calabre, n’y a-t-il pas d’hôpitaux ?

C’est une vieille histoire, et elle est dramatique, aussi vieille et dramatique que l’abandon du Sud, son taux de chômage (avant le Covid, il dépassait les 16 %), son économie fondée sur le travail non déclaré et mal payé, le contrôle de ses territoires et de ses administrations par les organisations mafieuses. Et, dans cette histoire, c’est en réalité l’État italien qui a joué le rôle principal en alimentant consciemment, depuis toujours, cet état de choses.

Un chaos indescriptible

La santé publique de deux des provinces calabraises (les plus importantes, Reggio et Catanzaro) était déjà sous la tutelle d’un « commissaire régional à la santé », nommé par le gouvernement, à cause des infiltrations mafieuses dans l’administration. Mais cette mise sous tutelle par l’État n’a pas réglé l’affaire, elle l’a, au contraire, aggravée : hôpitaux flambant neufs et très coûteux jamais ouverts, fermeture de ceux en activité, millions d’euros déboursés et perdus à jamais. Cette situation avait déjà provoqué le phénomène appelé « émigration sanitaire », c’est-à-dire le fait que, pour se soigner d’une quelconque maladie plus grave qu’un rhume, les CalabraisES étaient obligés d’utiliser les structures sanitaires d’autres régions, y compris au Nord. Vu que tout va toujours de mal en pis, avec l’arrivée de la seconde vague de la pandémie, la situation calabraise de la santé, déjà insuffisante, est devenue un chaos indescriptible. Personne n’a su donner des informations sûres non seulement concernant les contaminations mais aussi le nombre de lits disponibles et les unités de soins intensifs ; les tests ont des semaines de retard.

Voilà pourquoi le gouvernement de Conte a décidé, dans les premiers jours de novembre, de nommer un commissaire spécial pour la gestion de la santé publique calabraise. Mais le gouvernement s’est couvert de ridicule : il en a déjà nommé quatre et tous ont démissionné ou ont été démis de leurs fonctions quelques jours après. C’est une chose d’être le commissaire du gouvernement en temps normal (on peut même faire des affaires), mais c’en est une autre, et c’est très différent, de commencer à accomplir sa mission de réformateur sous les yeux de tous. Non, merci. Ne serait-ce que parce que les jeunes de la « ndrangheta »1 ont la gâchette facile, surtout quand on se mêle de leur business.

Une certaine colère populaire

L’accroissement des difficultés sanitaires, s’ajoutant à une situation économique désastreuse et à une incroyable incompétence gouvernementale, risible, ont fini par déclencher une réaction populaire que l’on peut difficilement qualifier de « marginale ». Dans tous les chefs-lieux et dans toutes les petites villes de la région, pendant deux semaines de novembre, les mobilisations se sont succédé : manifestations, occupations, blocages de rues. Pour une société dans l’ensemble « passive » et résignée, comme certains définissent la société calabraise, ce n’est pas rien, surtout en période de confinement.

Il s’agit avant tout de l’expression de la colère des secteurs les plus touchés par les dernières mesures (l’économie parallèle, le petit commerce), avec des origines et des références politiques diverses. Ici aussi, comme cela a été le cas en octobre dans le reste du pays, ce sont la droite et l’extrême droite – apparemment –  qui ont tiré le meilleur profit politique de ces mobilisations semi-spontanées.  Mais les mots d’ordre en défense de la santé publique ont été au cœur des dernières manifestations, ce qui, avec le rôle non marginal d’organisations fémininistes comme Fem.in de Cosenza et d’autres collectifs qui se battent depuis longtemps sur ces questions, est significatif d’une volonté de ne pas laisser la rue entre les mains des néofascistes et de construire un discours et des propositions alternatifs. Par ailleurs, la droite et l’extrême droite – qui, historiquement, ne font qu’un avec la mafia qui a fait des affaires d’or sur le dos de la santé publique et privée – ne devraient pas retirer un grand prestige d’une situation comme celle de la santé en Calabre. Mais, dans ce cas aussi, le désastre idéologique et politique qui règne depuis longtemps en Italie ne garantit pas des réponses de type rationnel. La faim et le désespoir livrés à eux-mêmes ne mènent pas nécessairement à la révolution.

Traduction Bernard Chamayou

  • 1. Équivalent calabrais de la « mafia » (ndt).