Il y a maintenant six semaines que le premier décret qui a décidé le confinement de tout le pays a été pris, et il n’y a pas encore d’éléments significatifs (les données sont encore contradictoires) qui indiqueraient une courbe descendante de l’épidémie.Le seul fait en partie positif, du moins jusqu’à présent, c’est que l’épidémie a eu un développement limité dans les régions du centre et du sud. Ce sont toujours les quatre régions industrielles du nord – Lombardie, Émilie-Romagne, Vénétie et Piémont – qui sont le plus malmenées par le virus. À la date du 12 avril, on comptait plus de 100 000 contaminéEs (le compte global s’élève à plus de 150 000), presque 20 000 décès, et 30 000 guérisons.
Tragédie nationale niée
Nous sommes face à une tragédie nationale dont ni les médias ni les représentants politiques et économiques ne veulent reconnaître et expliciter toute la violence. On ne veut pas non plus reconnaître qu’une telle tragédie vient des ravages produits dans la santé par les politiques libérales et que tout cela aura des répercussions négatives et profondes sur le plan sanitaire, même après que la la crise la plus aiguë aura été surmontée.
Pour le moment, la chute de la courbe de la maladie semble encore lointaine, sans parler du retour à la normale. Et c’est au contraire justement sur le thème du « retour à la normalité », de la prétendue « phase 2 » de la reprise que, depuis dix jours, dans les médias, on discute dans le vide ; on veut susciter un faux sentiment de sécurité, mais surtout une position favorable à la demande des patrons et de la Confindustria : la pleine reprise des activités productives.
Jusqu’à maintenant, le gouvernement a dû faire prévaloir les appréciations du Conseil supérieur de la santé qui a rappelé avec force que réduire maintenant les mesures de protection signifierait rendre inutiles les résultats partiels obtenus ; il a donc décrété la prolongation du blocage du pays et du confinement jusqu’au 3 mai.
Un confinement très partiel
Mais ce confinement (lockdown) n’est pas total, non seulement parce que de nombreuses activités sont indispensables et sont donc maintenues, mais aussi parce que les mesures contenues dans le décret forment un tissu lâche qui permet à des milliers d’entreprises de continuer la production en envoyant une simple lettre au préfet, dans laquelle on soutient que l’on joue un rôle essentiel. Il est impensable que cet organe provincial du gouvernement (dont les membres ont été par ailleurs réduits par les coupes dans les dépenses publiques) puisse vouloir ou pouvoir vérifier l’exactitude de milliers de lettres, et intervenir rapidement et efficacement pour imposer toutes les fermetures nécessaires.
À la date du 8 avril, il y avait environ 71 000 entreprises (ne faisant pas partie des activités essentielles) qui demandaient à continuer ou à rétablir leur production.
La FCA (Fiat-Chrysler Automobiles), qui ne fait pas partie de la Confindustria et à qui, pour l’instant, une importante production dans les entreprises italiennes n’est pas nécessaire, a signé un accord avec les syndicats sur les conditions de travail au moment de la reprise, accord toutefois soumis aux décisions du gouvernement. Le président de la Vénétie a déjà dit que, vu que 60 % des entreprises de sa région travaillaient déjà, il valait mieux les ouvrir toutes...
La Confindustria en guerre
Les Confindustria de Lombardie, Vénétie, Piémont et Émilie-Romagne ont signé une déclaration de guerre qui demande le retour immédiat à la « normalité », attitude qui laisse présager leur volonté de rouvrir les portes de toutes les usines le 14 avril, sans respecter le décret gouvernemental. La Confindustria mène la guerre non pas contre le virus, mais contre les travailleurEs ; elle les considère comme de la chair à canon, comme les soldats pendant les guerres et il serait normal qu’il leur arrive, comme à beaucoup d’autres citoyennes et citoyens, de tomber au front ; l’important c’est que les patrons la gagnent, leur guerre, que leurs profits soient garantis et qu’ils ne se fassent pas écraser par leurs concurrents. C’est la Confindustria qui, avec ses lèche-bottes institutionnels, a empêché la fermeture immédiate de toute une zone de la province de Bergame, d’où est partie l’épidémie ; ils sont responsables d’un très grand nombre de morts.
« Avec cette Confindustria, on ne discute pas, on fait grève » : voilà pourtant ce qu’affirme le cri d’alarme de la gauche de la CGIL, que la direction n’entend pas, qui continue à rechercher des accords avec les patrons…
Sur la possible détérioration de la situation dans les usines et dans la société, (surtout au Sud, où le manque de revenus se fait sentir dans de très larges couches de la population, mais pas seulement) la ministre de l’Intérieur, Lamorgese, est intervenue elle aussi par une circulaire qui, après avoir invité les préfets à favoriser la « cohésion sociale », spécifie « [qu’]aux difficultés des entreprises et du monde du travail, produites par l’urgence coronavirus, risqueraient de s’ajouter de graves tensions auxquelles pourraient faire écho, d’un côté, la recrudescence de types de délinquance habituels et, de l’autre, la manifestation de foyers d’expression extrémistes, le risque que dans les replis des nouveaux besoins se nichent, pour les organisations criminelles, des opportunités pernicieuses. »
Il est difficile de ne pas reconnaître dans « les foyers d’expression extrémistes », de possibles luttes ouvrières animées par les secteurs syndicaux les plus combatifs. Mais pour affronter les luttes sociales, la classe patronale et des forces de police ont à leur disposition tout l’armement répressif des décrets de Salvini sur la sécurité, ceux que jamais personne n’a voulu abroger !
Traduction : Bernard Chamayou