Publié le Samedi 19 mai 2012 à 09h16.

Les élections en Algérie

A la différence des élections législatives en Tunisie (23 octobre 2011), au Maroc (25 novembre 2011) et en Egypte (à partir du 28 novembre 2011), celles récemment tenues en Algérie n’ont pas amené une nouvelle majorité parlementaire.

Certains observateurs ont ainsi pu ironiser sur le fait que l’Algérie serait un pays bizarre «qui saute une saison, le printemps». Ceci en faisant allusion aux recompositions politiques qui ont suivi, ailleurs en Afrique, les révoltes et mouvements sommairement résumés sous le nom de «Printemps arabe». (Et qui ont, pour le moment, provisoirement profité à des partis islamistes au premier rang.)

A l’issue du scrutin du 10 mai 2012, ce sont les principaux partis de l’ancienne majorité – baptisée «Alliance présidentielle» - qui continueront à gouverner le pays. Surtout l’un d’autres eux, le FLN (Front de libération nationale). Ancien parti unique depuis l’après-indépendance en 1962/63 jusqu’à l’implosion du régime en 1988/89, le FLN ne s’est jamais vraiment éloigné du pouvoir. Le président Abdelaziz Bouteflika, à la tête de l’Etat depuis avril 1999, est issu de ses rangs.

La nouvelle Assemblée populaire nationale (APN) algérienne a vu le nombre des sièges augmenter de 389 auparavant à 462. Une vingtaine de partis politiques avaient été créées très peu de temps avant le scrutin. Les autorités avaient tenté de donner l’impression d’un «nouveau départ», essayant par la même de canaliser les frustrations sociales et politiques qui grondent de façon souterraine dans la société algérienne. Mais l’APN fraîchement élu est loin de présenter vraiment un nouveau visage. 220 sièges – pas très loin du seuil de la majorité absolue – ont été pris par le seul FLN.68 autres sièges (contre 62 pendant l’ancienne législature) par son clone, le «Rassemblement national démocratique» - RND. Ce dernier avait été créé en 1997 pour soutenir le gouvernement de l’époque, à partir d’une scission de l’ex-parti d’Etat FLN. Le Premier ministre sortant Ahmed Ouyahia appartient à ce parti.

Les formations islamistes apparaissent comme les grands perdants du scrutin. Ceci dans la mesure où plusieurs entre ces partis avaient annoncé qu’ils allaient l’emporter. Selon eux-mêmes, ces partis avaient le vent en poupe, puisque les exemples des victoires électorales récentes d’En-Nahdha en Tunisie et des Frères musulmans en Egypte agiraient en leur faveur. Le parti MSP-Hamas, participant aux gouvernements successifs depuis 1999 sans interruption, avait fait le parti de quitter l’«Alliance présidentielle » en janvier 2012. Se mettant ensemble avec deux autres partis islamistes, il avait formé une «Alliance verte» en s’attendant à une victoire électorale. Or, il n’en rien été. Cette alliance islamiste n’arrive qu’en troisième position, obtenant 48 sièges au total. Un autre parti d’orientation islamiste (mais classé «plus radical» dans son positionnement vis-à-vis des gouvernants sortants), le «Front de la justice et du développement» - FJD du prédicateur Abdallah Djaballah passé par de multiples partis, n’obtient que 7 sièges quant à lui.

Tous les partis islamistes ont été surpris par ces résultats plutôt mauvais. Le FJD de Djaballah a prétendu que son faible score n’était dû qu’à la fraude électorale et qu’il ne le reconnaissant donc pas, en menaçant l’establishment d’une «révolution». Mais un parti comme le MSP-Hamas dispose de certains relais dans l’administration. Par ailleurs, il n’est pas improbable qu’une fraction du pouvoir oligarchique, au moins, aurait accepté d’associer un parti de ce type – sortant renforcé du scrutin – au gouvernement, afin de canaliser les frustrations de la société. Ces deux faits plaident contre l’idée que la fraude, uniquement, aurait éloigné les islamistes d’un bon résultat électoral.

En réalité, il est assez improbable que la fraude explique, à elle seule, leur défaite. La manipulation a pu exister, au profit des grands partis et au détriment des nombreuses petites formations. Elle n’explique probablement pas les grandes tendances du scrutin, qui trouvent leur fondement plutôt dans l’absence profonde d’une espérance qui serait tournée vers un changement politique. En tout cas, aujourd’hui la majeure partie de la société n’espère rien d’une alternance au niveau des institutions de l’Etat. «On préfère encore voter pour un ,gros’ que pour un ,maigre’», nous explique Kheira, ouvrière, lors d’un déplacement récent à Oran. «Le gros, qui est déjà riche, aura peut-être un peu moins faim. Pour le maigre, qui cherche encore à s’enrichir, on se dit qu’après cinq ans, il sortira lui-même aussi gros de sa place. Entre-temps, il va voler l’Etat.» Cela explique un vote, essentiellement alimentaire – parce qu’on promet une redistribution clientéliste de l’argent de l’Etat -, pour les grands partis.

Les partis islamistes actuels sont «domestiqués», par rapport au Front islamique du salut (FIS) du début des années 1990, dont une partie des dirigeants au moins avait réclamé tout le pouvoir. Ils ont intégré le principe d’un partage du gâteau avec la bourgeoisie bureaucratique, l’armée et les autres parties de l’oligarchie. Sur fond de leur participation aux affaires, ils sont aujourd’hui eux-mêmes largement discrédités: en dehors d’un discours «moralisateur», ils n’ont apporté strictement aucun changement de la vie des AlgérienNEs. L’espoir d’une changement profond apporté par les islamistes, qui existait il y a vingt ans, a largement disparu. Les islamistes radicaux ont et perdu la guerre civile (de 1992 et 98), et montré eux-mêmes un visage hideux en contribuant – avec l’armée – aux massacres de civils.

Un changement positif en Algérie ne viendra ni des islamistes,ni du parlement. En attendant, les mouvements sociaux qui pourraient, eux, être porteur de perspectives positives sont bien vivants et actifs. Les «syndicats autonomes» (hors UGTA, la centrale syndicale dont l’encadrement depuis toujours arrimé au FLN, au RND et à l’Etat) viennent de créer, pour la première fois, une confédération syndicale nationale à côté de l’UGTA. Des travailleurs de la Justice sont en grève de la faim pour la reconnaissance de leurs droits. Des manifestations voire des émeutes locales sont quasi quotidiennes. Ce n’est pas dans les élections qu’il fallait cherche un espoir.