Publié le Lundi 29 février 2016 à 08h49.

Libye : Vers une nouvelle catastrophe

Les gouvernements occidentaux continuent toujours leur pression sur les différentes factions libyennes afin qu’elles acceptent le gouvernement d’union nationale fondé sous la houlette des Nations unies.

Parlons franchement : si ce nouveau gouvernement prend tant de temps à se mettre en place, c’est que personne n’en veut vraiment. On se souvient qu’une première mouture avait été refusée,  officiellement en tout cas, en raison d’un nombre trop important de ministres. Cette fois-ci, le Premier ministre Fayez al-Sarraj propose un gouvernement de 18 ministres. Cependant, le Parlement de Tobrouk, pourtant reconnu par la communauté internationale, rechigne à lui apporter son soutien. Quant aux autorités de Tripoli dirigées par Fajr Libya, d’obédience islamiste, le ton semble encore plus dur, les récentes déclarations du ministre des Affaires étrangères de cette faction explique qu’il est hors de question que l’on « offre Tripoli sur un plateau d’argent » 1...

Le social en berne

Les premières victimes du chaos qui règne en Libye sont les populations. En effet, la situation sociale se dégrade au fur et mesure que les différentes milices s’affrontent. Les prix des denrées ont été multipliés par trois et pour certaines d’entre elles par quatre. Les agences internationales des Nations unies estiment que 2,44 millions de Libyens ont besoin d’une assistance humanitaire, et deux millions d’enfants ne sont plus scolarisés.

L’essentiel de l’économie est centré sur la rente pétrolière, mais la chute drastique du prix du baril n’explique qu’en partie la situation économique du pays. En effet, les terminaux pétroliers d’Al-Sedra et de Ras Lanouf, qui représentent 50 % du total de la production, sont à l’arrêt. Le reste est détourné par les milices. Les devises viennent à manquer pour importer les produits de première nécessité.Les dirigeants européens ne se préoccupent guère de la situation sociale des populations : celles-ci ne figurent d’ailleurs même pas dans les déclarations officielles. Leur objectif est de mettre en place au forcing ce gouvernement d’union nationale, qui pourra officiellement demander une aide ouvrant ainsi la voie légale à une intervention militaire étrangère.

Doubles interventions

On devrait plutôt parler de deux interventions. En effet, la première prévue est contre l’État islamique qui, à partir de sa base de Syrte, tente de progresser et a même failli s’emparer d’une partie du croissant pétrolier, déjoué par une défense acharnée des gardes des terminaux.

L’autre intervention réside dans le renforcement de l’opération Sophia qui vise à endiguer la venue des réfugiés en Europe. Actuellement la résolution 2240 de l’ONU n’autorise que des interventions des marines militaires européennes en haute mer. Le but est que ce nouveau gouvernement autorise les actions militaires dans les eaux territoriales libyennes, ce qui empêcherait les réfugiés de sortir de Libye, comme l’explique un article des Échos : « les militaires ont identifié les modes opératoires des passeurs, leurs réseaux, leurs routes, leur " marketing ", leurs ports de départ, leurs circuits d’approvisionnement de bateaux, etc. Les Dingy en bois sont réalisés dans les pays voisins, ceux en plastique fabriqués en Chine. Aussi attendent-ils avec impatience un feu vert pour entrer dans les eaux territoriales. Mais celui-ci ne peut venir pour l’heure que du futur gouvernement d’union nationale libyen, lequel tarde à se former. » 2

Une vision strictement militaire

S’il tarde à nommer ce gouvernement, c’est précisément parce qu’un vote en sa faveur équivaudrait à une acceptation d’une intervention militaire étrangère. Aucune des différentes factions n’en veut car tous savent qu’une intervention ne ferait accentuer la crise et jeter une partie des populations dans les bras de Daesh. Une analyse partagée par les pays frontaliers qui craignent un débordement sur leur territoire.

Ainsi, l’armée algérienne a déployé les renforts militaires pour éviter ce qui s’était passé avec l’intervention française au Mali, où le terminal gazier d’In Amanenas avait été le théâtre d’une prise d’otages menée par Mokhtar Belmokhtar qui s’était soldée par 40 morts. Quant à la Tunisie, c’est certainement le pays qui a le plus craindre de cette intervention : la radication islamiste, la crise sociale dans le pays, et le nombre important de djihadistes tunisiens en Libye, font craindre le pire.Refusant d’écouter les principaux intéressés dans la région en imposant leur vision strictement militaire, les dirigeants européens nous préparent une nouvelle catastrophe pour les peuples des deux côtés de la Méditerranée.

Paul Martial