Pendant plus d’un an, le Hirak (« mouvement ») du Rif, par son caractère de masse, pacifique et déterminé, a révélé au grand jour la profondeur du ras-le-bol populaire et la crise politique d’un pouvoir incapable de répondre, même partiellement, à des revendications élémentaires.
Alors que le procès du noyau dur des animateurs de la lutte touche à sa fin, tout indique la volonté du pouvoir de les sanctionner lourdement, comme un avertissement destiné à tous ceux et toutes celles qui luttent. À Jerada, située à l’est du pays, depuis près de trois mois une mobilisation populaire s’est enclenchée après la mort de deux jeunes dans un puits de charbon.
Mécontentement profond à Jerada
Jerada, une des villes les plus pauvres du pays, est connue pour ses traditions ouvrières et militantes. C’est ici qu’est né l’un des premiers syndicats durant l’ère coloniale. Le pouvoir, sous Hassan II, a ordonné la fermeture des mines à la fin des années 1990, non pour des raisons économiques, mais pour déstructurer un bastion ouvrier qui a su mener des luttes importantes. Or, l’activité minière faisait vivre, directement ou indirectement, toute la ville. Et les promesses d’un plan de rechange n’ont jamais été tenues. Faute d’emplois alternatifs, beaucoup continuent à descendre dans « les puits de la mort » désaffectés, au péril de leur vie, pour extraire du charbon à la main, sans aucune mesure de sécurité, et le revendre, pour une poignée de dirhams, à des « barons » et élus locaux.
Les mobilisations ont été récurrentes dans cette ville, notamment sur les questions d’emploi, mais aussi de factures d’eau et d’électricité. La mort de deux jeunes n’a fait que catalyser un mécontentement profond. Le mouvement s’est lui-même identifié, à l’image du Rif, comme un hirak, exigeant une « alternative économique », se déclinant en revendications concrètes sur l’emploi, les services publics, les hôpitaux en particulier avec l’exigence de services spécialisés et gratuits dans le traitement de la silicose, une réduction des factures d’eau et d’électricité, l’annulation des poursuites pour les impayés, etc. Comme dans le Rif, une plateforme revendicative a été élaborée en s’appuyant sur une démarche participative de la population.
Polarisation sociale et politique
Le pouvoir a feint le « dialogue social », envoyant différentes délégations ministérielles avec des annonces sur des projets agricoles, une nouvelle zone industrielle, un examen des facturations, mais elles sont apparues comme de la poudre aux yeux. En poursuivant la mobilisation, le hirak a exprimé, comme dans le Rif, la perte de confiance dans les relais du système et la façade démocratique. La réponse a été une intervention policière violente le 14 mars, provoquant des dizaines de blesséEs, la militarisation de la ville, comme avait pu le vivre Hoceima, des arrestations (74 à ce jour) et des condamnations.
Cette situation confirme le cycle dans lequel est rentré le pays : une polarisation sociale et politique croissante, des luttes populaires relativement auto-organisées, articulées aux questions sociales, s’appuyant sur la mobilisation directe et le refus des médiations inféodées à la dictature, et dans lequel la répression apparaît la seule issue pour la monarchie. Sans que celle-ci soit en mesure d’éteindre le feu qui couve dans tout le pays. Alors que Macron vient de recevoir Mohamed VI lors d’un dîner privé suivi d’un communiqué royal confortant la poursuite et le renforcement des coopérations à tous les niveaux, il est urgent que se développe un mouvement de solidarité avec les luttes du peuple marocain, ses prisonniers politiques et contre la dictature.
Chawqui Lotfi