Les prémisses d’un réveil social au Maroc se confirment. Tout au long des deux derniers mois, un important mouvement d’étudiants en médecine a su imposer au gouvernement l’annulation d’un projet de loi de « service civil obligatoire » qui visait, à l’issue de leurs études et au nom de la problématique du désert médical dans le « Maroc inutile », à les faire travailler comme stagiaires pendant deux ans, sans pour autant leur offrir de garantie d’embauche définitive dans la fonction publique.
Dans un Maroc inféodé aux directives du FMI, la politique du gouvernement en matière de santé vise l’introduction du CDD comme norme contractuelle à l’hôpital et à favoriser des emplois précaires dans le privé.
Une victoire qui fait des émules
Le message des étudiants a été clair : nécessité d’une politique de santé publique permettant la construction d’infrastructures médicales équipées sur l’ensemble du territoire, à contre-courant d’un gouvernement dont la seule doxa consiste en la restriction budgétaire et les privatisations sauvages.
Construite sur le modèle d’agoras militantes et de coordinations nationales, la mobilisation a construit un mouvement de sympathie populaire dans le contexte général de ruine des institutions sanitaires au Maroc. Elle a aussi pu rallier les autres composantes du secteur, internes et résidents en tête, qui ont entamé une grève illimitée, et ainsi imposer, malgré les manœuvres et la répression, un rapport de forces et, in fine, obtenir victoire et retrait du projet de loi.
La réussite du mouvement a fait des émules. Les professeurs en formation se mobilisent contre la dissociation formation/embauche et cherchent à regrouper dans une coordination tous les précaires des centres de formation. Un rendez-vous national est déjà prévu, et la mobilisation s’avère déterminée et massive. À leur tour, les diplômés chômeurs ont pu réaliser un front uni de tous les cadres de luttes et catégories de diplômés et préparent une mobilisation centrale pour début décembre.
Veolia-Amendis, dégage !
Autre mouvement social d’ampleur majeure, celui des habitants de Tanger réclamant le départ d’Amendis, filiale de Veolia qui gère le réseau d’eau et d’électricité de la région depuis 2002 et y applique une politique tarifaire qui relève de la prédation. Institution officielle, même la Cour des comptes a révélé les pratiques néolibérales et néocoloniales de Veolia-Amendis : des centaines de projets facturés sans être réalisés, absence de transparence dans la gestion, distribution anticipée des dividendes, frais abusifs non contractualisés, tarifs sans lien avec la consommation réelle (logements de 45 m² mensualisés à 180 euros)…
Pratiquement, la mobilisation a combiné le boycott de l’électricité, dans les quartiers populaires de la ville, et des manifestations convergentes vers le centre armées de bougies. Devant la force de la mobilisation, le pouvoir tergiverse, annonce des négociations « imminentes » et des mesurettes destinées à étouffer le mouvement, tout en accusant de fitna (sédition) la résistance populaire.
Face à un dosage gouvernemental de répression violente et d’éléments de langage néolibéraux (la rupture du contrat liant Amendis à la ville de Tanger coûterait 400 millions d’euros à la municipalité et réduirait l’attractivité du pays vis-à-vis des investisseurs étrangers attendus comme des messies...), c’est tout le nord du pays qui a rejoint le mouvement, et des appels similaires ont lieu dans plusieurs villes avec un seul mot d’ordre : dégagez !
Le pouvoir sur la défensive
Ici comme ailleurs, la force de la mobilisation découle de décennies de gestion néolibérale et de retrait de l’État de ses missions de service public, car totalement soumis aux prédateurs capitalistes locaux et internationaux. Nés pour l’essentiel à l’extérieur des organisations politiques traditionnelles, elles témoignent de la recherche de nouvelles formes de luttes par le bas, contre toute forme d’austérité, de domination des uns par les autres et de mondialisation capitaliste. En remettant la question de la justice sociale et des services publics au centre des débats, elles mettent sur la défensive le pouvoir qui cherche à tout prix à éviter une explosion populaire en gestation. Elles sont les prémisses d’un nouveau cycle de mobilisation et d’organisation populaire où l’urgence sociale est le vecteur des luttes politiques à venir.
Pour ces luttes sociales, la solidarité militante internationale est cruciale. Car, face à un système de domination internationalisé, seule une résistance par-delà les frontières est possible.
Chawqui Lotfi et Hamza Esmili (Association Autre Maroc)