Depuis 2011, la population noire mauritanienne se soulève contre le recensement en cours, ordonné par le régime militaire du colonel Ould AbdelAziz. Les négros-mauritaniens craignent la remise en cause de leur nationalité. Dans un pays encore marqué par les déportations des noirs d’Avril 1989 et la confiscation de leurs terres au profit des riches familles beïdane, ou la pratique l’esclavage perdure encore malgré le déni des autorités, on ne peut que les comprendre. D’autant plus que les pièces administratives exigées sont quasi-impossible à obtenir. Et ceci peut tourner à la farce ubuesque lorsque un homme de 80 ans doit prouver que son arrière-arrière-arrière grand-père est né mauritanien et qu’en plus il doit parcourir le pays d’un extrême à l’autre pour obtenir un foutu papier qui, au final, n’a jamais été produit par l’administration … ou malencontreusement égaré par un fonctionnaire peu scrupuleux.
Outre le caractère humiliant du recensement, il s’y ajoute que les Mauritaniens de la diaspora ne peuvent le faire qu’à une seule condition : retourner au pays.
Si le recensement doit servir pour prévoir le développement économique, territorial et institutionnel d’un pays, il tourne là à l’enjeu politique puisque c’est le seul pays au monde ou les données démographiques, quand elles existent, relèvent du secret-défense.
Paradoxalement celui-ci ne pose aucune difficulté aux centaines de Touaregs que le régime du Colonel Ould Taya (au pouvoir de 1984 à 2005) avait fixés sur la vallée du fleuve Sénégal, aux seuls fins, d’une part de dénégrifier cette région riche en minerais et stratégique en voies communicantes et, d’autre part, s’assurer leur soutien dans la lutte contre le terrorisme, avec bien sur, l’aide de la France qui vient d’accorder 750.000 euros pour, officiellement, y développer l’enseignement du Français.
Le mouvement « Touche pas à ma nationalité »Le fait que la majorité des enquêteurs soit beïdane et ne parlent que l’Arabe, exacerbe d’autant plus le sentiment, justifié, d’exclusion de toutes représentations officielles des populations Toucouleurs, Ouolofs, Soninkés et Peulhs, pourtant majoritaires dans le pays. Le projet du Président Aziz consiste pour ses populations à les faire se déplacer chez les agents recenseur et leur prouver qu’elles sont bien mauritaniennes. La Commission Nationale de Recensement compte 19 membres dont 18 sont Bédanes. Ses agents peuvent, selon leur bon vouloir, retirer sa nationalité à un individu et en faire un apatride dans son propre pays sans aucun recours possible. Pourtant la loi mauritanienne stipule que seul un décret peut déchoir un individu de sa nationalité et uniquement en cas d’atteinte à la sureté de l’Etat. On peut donc en conclure que tout négro-mauritanien peut juste être considéré comme un esclave ou un terroriste, mais pas comme un individu citoyen.
Il n’est donc guère étonnant que la majorité des animateurs du Mouvement « Touche pas à ma nationalité » soient issus de ses trois ethnies. Avec l’Initiative Résurgence Abolition de l’esclavage, c’est un mouvement issu de la société civile, regroupant tout mauritanien luttant contre le pouvoir militaire et ses avatars. Ce sont, à l’heure actuelle, les deux organisations dont les militants sont quotidiennement persécutés et emprisonnés. Preuve que le pouvoir est aux abois, depuis l’immolation, le 17 Janvier 2011 de l’homme d’affaires Yacoub Ould DAOUD qui signifiait aussi par son geste le ras-le-bol du peuple, dénonçant également la corruption galopante, mais auquel le pouvoir répond par un quadrillage militaire du pays de peur d’avoir à subir le même sort que Ben Ali, Moubarak et leur clique.
Ces deux mouvements ont lancé un boycott du recensement de grande ampleur. Tout comme Messaoud Ould Boulkheir, Président de l’Assemblée National, reconnu pour sa finesse et sa sagesse politique, ils estiment que c’est le plus grand danger qui menace la cohésion nationale, n’hésitant pas à faire une comparaison avec la politique menée par Henri Konan Bédié et sa fameuse « Ivoirité ».
Répressions contre les manifestants pacifiquesC’est ainsi que la répression sanglante s’est abattue lors des manifestations de Maghama et de Mouqata, faisant un mort, le jeune Lamine Mangane, 19 ans et plusieurs blessés graves. Depuis, toute la willaya du Gorgol, Région de Kaédi, est sous contrôle policier sans compter que les villes ont été incendiées, rappelant étrangement les razzias négrophobes d’Avril 1989 dont on peut encore ressentir les séquelles.
A l’intérieur comme à l’extérieur du pays, ce recensement aux relents d’apartheid diffuse une onde de choc, relayée en cela par les diasporas présentes lors des sit-in et autres occupations des Consulats. Mais aussi également par le biais des réseaux sociaux du net, où militants pro et anti pouvoir s’affrontent de plus bel. On peut également signer une pétition sur le site touchepasamanationalité.com tout comme nous l’avions fait pour exiger la libération sans condition des militants de l’IRA, incarcérés suite à un procès inqualifiable si ce n’est que liberticide pour le peuple mauritanien.
Aziz réveille donc les démons du passé en Mauritanie, aux seules fins d’asseoir son pouvoir militaire. Après les Printemps Égyptien et Tunisien, espérons que 2012 sera l’année de révolution et de libération du peuple mauritanien.
C’est tout le sens de la lutte que mènera le peuple mauritanien jusqu’à ce que tombe la dictature quitte à ce que ce soit une longue marche vers la liberté. Et nous avons de bons pieds et de bonnes chaussures. Mariam SERI SIDIBE