Le succès dans tout le pays des manifestations du 26 septembre dernier – date anniversaire de la disparition des 43 étudiantEs de l’école normale d’Ayotzinapa – a souligné la profonde crise politique que connaît le gouvernement du président Pena Nieto et le système des trois partis (PRI, PAN et PRD)...
Un an après la disparition des 43 étudiantEs, plus de 50 000 manifestantEs à Mexico, des dizaines de milliers d’autres dans tout le pays, exigent la vérité et la justice pour les 6 étudiantEs assassinés et leurs 43 camarades « disparus », et portent la conviction d’un nombre toujours croissant de Mexicains et d’observateurs étrangers que l’État tout entier est responsable de ce crime. Le cri de « Fue el estado » (« c'était l’État ») est repris partout.
C’est le problème du président et des institutions centrales : depuis un an, ils veulent faire croire qu’il s’agissait d’un règlement de comptes dans le cadre du narcotrafic dans lequel seul le maire d’Iguala (la commune où ont eu lieu les assassinats et les « disparitions ») et sa police locale étaient impliqués, en mentant ou en cachant la vérité. Et pour protéger le gouverneur de l’État local, la police fédérale et l’armée, tous directement impliqués dans les faits, les représentants de la justice fédérale (procureurs de la République) ont mené les enquêtes en ménageant tous ces échelons de l’État et ont tenté de mettre un point final à l’enquête, proclamant leur version comme une « vérité historique ».
Ce qui inquiète les tenants du pouvoir, c’est que le crime d’Ayotzinapa a été le révélateur et la « goutte de sang de trop » qui a soulevé l’indignation de tout un pays qui souffre d’une terrible « sale guerre » depuis des années. Une guerre que, sous prétexte de lutte contre les narcotraficants, l’État mexicain et ses représentants locaux mènent contre les pauvres, les communautés indigènes, les syndicats agricoles, les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes. Une guerre qui en moins de 10 ans s’est traduite par plus de 100 000 assassinats, plus de 25 000 disparus, plus de 4 000 cas de tortures avérées (chiffres de la Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’ONU). Le tout sur fond de corruption généralisée, d’impunité quasi-totale pour les auteurs des assassinats ou des exécutions.
La sale guerre doit se terminer
La version répandue par le gouvernement est clairement infectée de racisme et d’esprit de classe : les victimes d’Ayotzinapa sont des jeunes apprentis instituteurs de campagne venant des communautés indigènes combatives, donc naturellement subversifs et liés aux narcotrafiquants d’après le gouvernement...
Démenti par tous les experts internationaux qui ont pu enquêter, interpellé par les représentants des instances internationales des droits de l’homme et surtout sous la pression de la mobilisation populaire, le gouvernement recule, et annonce la réouverture des investigations, se disant même prêt à collaborer avec les experts internationaux.
Mais dans le même temps, il fait intervenir à l’heure de la plus grande écoute du journal télévisé le plus regardé le premier responsable militaire du pays, le général secrétaire de la Défense nationale qui a été très clair : demander que des experts internationaux interrogent les soldats impliqués la nuit du massacre est intolérable. « C’est très grave, je ne peux permettre qu’on interroge mes (!) soldats ». Avertissement officiel : « pas touche à l’armée ! »
Il n’est pas sûr du tout que cela arrête le mouvement populaire et d’opinion qui, avec les parents des victimes, exige que tous les coupables soient retrouvés et punis. Car tous sont convaincus qu’après Ayotzinapa, rien ne doit être comme avant au Mexique.
De Mexico, F. Thomas