François Hollande en semble persuadé : il est en train de briller sur un nouveau front. Samedi 16 mai à Paris, il avait réuni cinq chefs d’État du continent africain : le président de la République fédérale du Nigeria, Goodluck Jonathan, ainsi que ceux des quatre pays voisins (Cameroun, Tchad, Niger, Bénin)...
A cette occasion, le président français a tonné contre la secte armée nigériane de Boko Haram, qui vient de se rendre célèbre par le rapt de 276 collégiennes, dont 53 ont réussi à fuir : « Boko Haram a une stratégie anti-civilisationnelle de déstabilisation du Nigeria mais aussi de destruction des principes fondamentaux de la dignité humaine. » Disons-le, toute ironie qui minimiserait l’horreur des crimes commis par la secte intégriste sanguinaire serait fortement déplacée. Le 5 mai, le leader de Boko Haram, Abubakar Shekau, a revendiqué la prise d’otages de plus de 200 écolières, effectuée dans la nuit du 14 au 15 avril dernier. Dans la même vidéo, Shekau annonçait son intention de « vendre en esclaves » les filles. Le 12 mai, le leader de Boko Haram a annoncé cependant qu’il avait réussi à « convertir » environ 130 des filles à sa version de l’islam, et les avait ainsi « libérées » (spirituellement s’entend...). Pour les autres, il proclamait son intention de les échanger contre des prisonniers de son organisation, demande aussitôt rejetée par les officiels.
Les grandes puissances veulent prendre piedPour autant, il n’est pas certain que la mise en scène de la France et des présidents convoqués à Paris – dont au moins deux, Paul Biya et surtout Idriss Déby, sont des sinistres bouchers tout en étant des amis notoires de la « Françafrique » – ait servi la cause de la liberté des filles. La stratégie annoncée reposera avant tout sur un renforcement de l’armée nigériane, les autres puissances présentes sur le terrain – France, USA, Chine – n’interviendront pas militairement. Il est cependant question du partage de renseignements, gagnés à partir de drones étatsuniens et/ou d’avions militaires français qui pourraient bientôt décoller du Tchad, et de l’instauration d’une plateforme de renseignement à Abuja, capitale fédérale du Nigeria.
L’armée nigériane fait jusqu’ici clairement partie du problème, plutôt que de la solution. Du matériel livré à l’armée nigériane a été vendu sur le marché noir, dont en partie à Boko Haram. La raison principale en est la gigantesque corruption qui ravage le Nigeria et gangrène tout depuis qu’on a découvert qu’il regorge de pétrole. Six milliards de dollars par an sont déboursés au titre de la « lutte contre le terrorisme »... alors que 25 millions arriveraient sur le terrain dans le nord-est. Le 9 mai, Amnesty International a accusé l’armée nigériane d’avoir été au courant du projet de rapt – les djihadistes présents autour de l’école avaient été repérés en début de soirée du 14 avril –, mais de n’avoir strictement rien entrepris pour l’empêcher. La solution miracle n’existe certainement pas. À court terme, il est à craindre qu’une négociation avec la secte sanguinaire soit inévitable pour sauver les filles, ce qui ne réduit aucunement la nécessité de la combattre. Le meilleur moyen, ensuite, sera de donner aux populations locales des moyens d’assurer leur autodéfense. En attendant, les grandes puissances profitent de l’occasion pour mettre un pied dans la porte du Nigeria. Déjà le 24 mai 2009, François Fillon, alors Premier ministre, avait proposé l’aide militaire française à l’armée du Nigeria. À l’époque, c’était pour combattre des rebelles (non intégristes) dans le delta du Niger, principale zone de production du pétrole, marquée par la misère des populations et la destruction de leur environnement.
Bertold du Ryon