Contrairement aux pronostics de certains journalistes et commentateurs, Haïti a été relativement épargnée par l’ouragan Irma. L’« hécatombe » prévue par certains vautours, qui semblaient se préparer à couvrir goulûment un énième drame à Haïti, n’a pas eu lieu. Mais le passage de l’ouragan a révélé à quel point l’île n’était toujours pas préparée à ce type d’événement.
L’an passé, l’ouragan Matthew avait à nouveau tristement mis la lumière sur l’absence de moyens de l’État haïtien pour faire face à ces situations de crise (500 morts contre 0 à Cuba). Cette année encore, l’impréparation était patente : ainsi, la veille du passage de l’ouragan, une grande partie de la population de la côte nord du pays ignorait l’arrivée imminente d’Irma, ainsi que la localisation des abris d’urgence en trop faible nombre.
« Assistance mortelle »
L’aide internationale promise en 2010 a été loin d’être à la hauteur des promesses des donateurs. La majorité de cet argent est allé aux ONG et structures de l’ONU, quand ce n’est pas aux militaires envoyés en Haïti. Cet argent, dont à peine 1 % a été versé à l’État haïtien, a surtout servi ces dernières années à maintenir la « paix sociale » et à construire des infrastructure économiques comme les zones franches dans le nord de l’île ou des hôtels de luxe. Le reste de l’argent étant souvent englouti par les frais des ONG pour leur propre personnel, sécurité, etc. L’État haïtien, miné par la corruption, n’a guère perçu de moyens financiers après le refus des Nations unies de le laisser gérer l’aide internationale.
Au final, quand les ONG repartent et que les caméras s’éteignent, il ne reste rien pour les 80 % d’Haïtiens vivant sous le seuil de pauvreté. Ce triste constat, dénoncé par le réalisateur Raoul Peck dans son documentaire Assistance mortelle (2013), met en lumière un système d’aide totalement inefficace, voire contre-productif. La reconstruction de logements s’est faite avec des matériaux qui ne permettent pas de faire face aux nouvelles catastrophes. Elle n’a en outre pas été suffisante, laissant une partie de la population dans des bidonvilles.
Des infrastructures inadaptées
Qui plus est, certaines infrastructures financées de l’étranger ces dernières années sont inadaptées : c’est le cas d’une route goudronnée de 70 kilomètres, dans le nord de l’île, reliant Cap-Haïtien, deuxième ville haïtienne, à la frontière dominicaine, construite par une entreprise italo-dominicaine, Ghella. Cette route, financée à hauteur de 40,8 millions d’euros par l’Union européenne, dans une partie de l’île où les zones franches pullulent, notamment depuis le tremblement de terre, n’a de toute évidence pas été pensée pour les habitantEs de l’île.
D’après des témoignages recueillis par RFI après le passage d’Irma, elle a même aggravé les choses : la population d’un des côtés de cette route est inondée depuis le passage de l’ouragan alors que l’autre est sèche ; l’eau ne s’évacue pas, faisant rejaillir le spectre du choléra qui a fait plus de 8 000 morts après le séisme de 2010 ; selon un habitant, « jamais on n’avait de tels dégâts à cause des cyclones avant la construction de la route ».
Le pire a toutefois été évité lorsque l’on sait que dans les villes et zones rurales concernées par le passage de l’ouragan, où vivent plus d’un million de personnes, l’électricité est rarement distribuée, que l’État est absent, ainsi que les médias et les moyens de communication. Le coordonnateur de la protection civile confiait même à RFI qu’il n’avait que trois ambulances pour le département du Nord… Ainsi, si le bilan d’Irma n’est pas dramatique en Haïti, ce n’est pas grâce à l’aide internationale dont le bilan est absolument catastrophique, et qui ressemble plus à un immense pillage, sous couvert d’aide humanitaire, qu’à un quelconque effort de solidarité.
Thibault Blondin