Publié le Lundi 23 mai 2016 à 08h53.

Philippines : Des élections par temps de crise

La victoire d’un outsider, Rigoberto Duterte, manifeste l’état de crise dans lequel l’administration Aquino a plongé le pays.

Triomphalement élu avec plus de 16 millions de voix, Duterte entrera en fonction le 30 juin. Il s’est fait, durant la campagne présidentielle, une réputation mondiale pour la brutalité de ses propos, dénommant « les connards » de la haute administration, se vantant d’avoir froidement exécuté des délinquants dans la ville dont il est le maire, regrettant de ne pas avoir été le premier à « passer sur le corps » d’une religieuse australienne violée et tuée par des repris de justice (qu’il a abattu).Avocat de formation, Duterte se garde de la justice en laissant planer un doute : dit-il la vérité ou plaisante-t-il ? Il ne fait pas dans la fiction. Il a bien « nettoyé » la ville de Davao dont les forces de police liquident sommairement délinquants, dealers, enfants de rue… Connu comme le « maire des escadrons de la mort », il fait école.

Duterte accumule les records : participation exceptionnellement élevée à la présidentielle (81 %) ; plus grand nombre de voix jamais obtenu dans un tel scrutin ; premier candidat victorieux en provenance de Mindanao, la grande île au sud de l’archipel philippin ; conquête fulgurante du pouvoir par une figure locale n’appartenant à aucune de ces « grandes familles » provinciales qui « font » la politique. Parti de rien, Duterte a raflé la mise, obtenant un soutien massif dans les couches populaires, mais aussi dans les classes moyennes et même parmi les élites qu’il conspue.

Nouvelles fractures

La victoire de Duterte représente une « rébellion électorale » contre un gouvernement corrompu et inepte. Elle n’annonce cependant pas un changement de régime. Le nouveau président explique que, dès l’école, il a pris l’habitude de copier sur ses voisins – ce qu’il va aujourd’hui faire en matière économique, pillant le programme de ses rivaux. Il annonce même une réforme constitutionnelle levant tous les obstacles à l’entrée des capitaux étrangers. Avec lui, l’ordre néolibéral se portera bien !De nouvelles fractures apparaissent au sein de la gauche philippine. Akbayan est plus que jamais identifié à l’administration précédente, étant resté fidèle à Aquino malgré la multiplication des scandales. La gauche radicale « hors PC » attend que le feu d’artifice électoral s’éteigne pour voir comment consolider l’indépendance des mouvements populaires. Fait nouveau, une ligne de faille apparaît au sein du Parti communiste maoïste et des forces qu’il influence.

José Maria Sison – figure tutélaire du PCP vivant à Utrecht (Pays-Bas) – a apporté un soutien remarqué à Duterte qui fut jadis son étudiant. Depuis des années, la guérilla du parti a noué une alliance avec le « maire des escadrons de la mort » dans la province de Davao. Sison espère aujourd’hui pouvoir revenir par la grande porte aux Philippines grâce au nouveau président. En revanche, une série de mouvements réputés proches du PC dénoncent violemment le programme néolibéral annoncé par le prochain gouvernement.Les élections générales du 9 mai ont concerné tous les niveaux (sauf les communes). On ne connaît pas encore le nom de la ou du vice-président, élu indépendamment, pas plus que la composition finale du Sénat et de l’Assemblée. Surtout, comme de coutume, bon nombre des politiciens rallient maintenant Duterte après l’avoir combattu : les marchandages sont en cours !Le paysage politique philippin se reconfigure au sommet, mais peut-être aussi à gauche. Une affaire à suivre…

Pierre Rousset