Publié le Lundi 17 novembre 2014 à 15h04.

Podemos : “un débat qui marque une étape importante dans la façon de faire de la politique en Espagne”

Entretien. Scientifique de profession, Pablo Echenique est député européen pour Podemos depuis le 25 mai 2014. Dans le cadre du débat interne à Podemos, Pablo a défendu la motion finalement minoritaire « Sumando Podemos » (« En rassemblant nous pouvons »), avec notamment notre camarade d’Izquierda anticapitalista Teresa Rodriguez, elle aussi députée européenne. Nous revenons sur les enjeux de cette discussion et de façon plus globale sur les perspectives du mouvement.Peux-tu te présenter ?Je suis né en Argentine il y a 36 ans. Je suis un physicien et je me déplace dans un fauteuil roulant de 150 kg, ce qui ne rend pas très facile mon voyage hebdomadaire de Bruxelles à Saragosse.Comme beaucoup d’Espagnols, j’étais politiquement endormi jusqu’en 2011. Je me suis réveillé cette année-là quand nous, les gens, avons envahi les rues, et que je ne pouvais plus fermer les yeux. Je me suis reconnu dans le changement de discours et d’analyse qu’a imposé le 15M (le mouvement des Indignés), mais mon attitude pragmatique m’a fait réaliser que quelque chose manquait.Ce quelque chose est apparu en janvier 2014 : un outil politique appelé Podemos qui m’a convaincu, où j’ai investi plus de temps, ce qui m’a finalement conduit au Parlement européen avec 4 autres camarades...Peux-tu nous donner ton bilan de l’assemblée nationale citoyenne « Si se puede » (« Oui vous le pouvez ») qui s’est tenue il y a un mois à Madrid ?Quand quelqu’un me dit que les gens ne sont pas intéressés par la politique, pour le contredire, je lui parle de cette assemblée « Si se puede », en particulier du fait que des citoyens ont écrit et débattu près d’une centaine de propositions concernant l’organisation et le fonctionnement, des sujets pas tout à fait sexy... Je crois que cette assemblée a été la plus grande démonstration de transparence et d’ouverture : c’est un débat qui marque une étape importante dans la façon de faire de la politique en Espagne.Par rapport aux différentes propositions d’organisation, j’ai eu le plaisir et l’honneur d’appartenir à une grande équipe qui a produit une proposition d’une manière collective et coopérative, avec un réel processus de discussion, de débat et de consensus, presque magique... Notre texte, issu de ce large débat, trouvait non seulement sa justification dans le processus même par lequel il a été produit, mais aussi par son contenu, plus adapté, plus proche, plus original que la proposition de l’équipe finalement gagnante.Mais la grande majorité des gens ont choisi d’accorder un vote de confiance à l’équipe dirigée par Pablo Iglesias. Notre proposition a tout de même trouvé près de 14 000 supporters dans les votes qui ont suivi l’assemblée. Aujourd’hui, nous pensons que nous l’avons fait d’une façon intelligente combinant originalité, diversité, démocratie et efficacité.Quelles sont les grandes différences entre les deux projets principaux ?Comme je l’ai signalé, notre proposition s’est construite d’une manière inclusive, participative et le résultat appartient alors à toutes celles et ceux qui ont participé à cette élaboration.Sur le fond, la différence la plus évidente, c’est que nous avons choisi dans notre document de ne pas proposer la mise en place d’un secrétaire général, mais un système collégial de trois porte-­parole. Nous avons aussi défendu la mise en place d’un Conseil citoyen, composé de membres élus par vote direct des membres de Podemos et de 20 % de membres tirés au sort parmi des candidatEs soutenus par les cercles (les comités de base).De plus, notre document proposait une plus grande autonomie politique des cercles et un système de financement plus équilibré, intégré et coordonné. En définitive, notre proposition était plus décentralisée et plurielle, tout en conservant l’efficacité.« Ni de droite ni de gauche » dit Podemos... Mais quelle sont les relations avec le mouvement ouvrier « traditionnel » ?À mon avis, certains dans les grands syndicats espagnols ont approuvé et adopté les mêmes comportements que la « caste ». Ceci dit, il me semble très difficile d’envisager une réelle transformation sociale sans le soutien en particulier des travailleurEs organisés.D’après différents sondages, vous pouvez gagner les prochaines élections générales en Espagne. Mais comment comptez-vous mettre en œuvre votre programme ?L’amélioration immédiate des conditions de vie de la population la plus touchée par le pillage massif et systématique qu’ont subi les peuples de l’Europe du Sud et particulièrement l’Espagne, est le but principal de mon engagement en politique dans cette situation chaotique, qui m’a fait quitter mon poste de chercheur dans le CSIC (l’équivalent espagnol du CNRS).Je comprends que la priorité à court terme est un plan de sauvetage des gens qui sont dans des situations d’urgence sociale. Pour autant, il ne faut pas non plus négliger la mise en place de mécanismes pour rendre impossible à moyen terme la répétition du pillage que nous avons tristement vécu. Donc, il faut garantir des droits sociaux et les assurer, sans remise en cause possible.On sait bien que pour mener à bien un tel programme, il nous faut s’appuyer sur un peuple motivé, convaincu, organisé et mobilisé pour pousser à la mise en œuvre de ces mesures. On est très conscients de réticences de la part des entreprises et sociétés, qui ont très clairement démontré par le passé qu’elles sont prêtes à tout pour défendre leurs intérêts lucratifs. On les a notamment vu mener des guerres pour des intérêts économiques en Afrique ou au Proche-Orient.

Propos recueillis par Miguel Segui