La révolution de 2011, qui mis fin à plusieurs décennies de dictature en Tunisie, a libéré les tensions qui se sont accumulées au sein de la société durant les années de plomb, permis l’expression de toutes les frustrations et, surtout, donné libre cours à une multitude de revendications et mouvements sociaux. Cependant, à défaut d’un projet social fédérateur, de perspectives d’avenir viables et d’une direction politique sincère, le pays est en train de s’enliser dans la crise.
Au cours des dix dernières années, le rythme de la croissance économique était inférieur à 2 %, bien en deçà des 5 % réalisés durant la décennie précédente. La pandémie du Covid-19 vient de donner le coup de grâce à une économie qui tourne au ralenti.
Le pouvoir politique au centre de la crise
À cela s’ajoute l’état des finances publiques qui ne cesse de se dégrader, année après année. Le déficit budgétaire se situe fin 2020 à 13,4 %, contre 3 % prévu dans la loi de finances. Ce déficit est financé à l’aide d’un recours massif à l’endettement : 6,5 milliards d’euros en 2020, auxquels s’ajouteront 6 milliards prévus pour 2021 ! Le taux d’endettement atteindra à la fin de l’année 93 %, contre 41 % dix ans auparavant.
La crise a débordé de la sphère économique pour toucher l’ensemble de la société. La corruption, la contrebande et le trafic de stupéfiants connaissent un développement alarmant, qui mine le pouvoir de l’État et rend beaucoup plus difficile la recherche d’une sortie de crise.
Le chômage et le sous-emploi touchent désormais près de deux tiers de la population active. La pauvreté ne cesse de gagner du terrain, tandis que le gouvernement demeure mains et pieds liés par les accords de restructurations néolibérales. Environ 10,5 % de la population tunisienne doit se contenter d’une allocation mensuelle de 54 euros pour survivre.
Le pouvoir politique se situe bien au centre de la crise. Il en est à la fois le principal facteur et le principal produit. Au cours des dix dernières années, neuf gouvernements se sont succédé au pouvoir. Depuis 2012, la position politique hégémonique du parti islamiste est évidente : deux chefs de gouvernement en plus de la direction de ministères clés (Intérieur et Justice notamment). De plus, les islamistes demeurent majoritaires au Parlement, d’où ils influencent l’orientation et les décisions du gouvernement.
Contestation sociale
Les islamistes étaient arrivés au pouvoir fin 2011, grâce à des élections démocratiques. Pour beaucoup, Ils étaient porteurs d’espoirs de justice sociale et de conditions de vie meilleures. Après l’épreuve du pouvoir, l’espoir, chez beaucoup, a cédé la place à la désillusion. Une majorité de la population, qui tient le parti islamiste pour principal responsable de la crise, se détache de lui. Son électorat se désagrège, au fil des élections, comme peau de chagrin. Son leader et actuel président du Parlement, Ghannouchi, est la personnalité politique la plus haïe. Il est aussi contesté dans son propre parti qui connait de vives tensions internes.
Face à la crise, la contestation sociale bat son plein. Des coordinations régionales se forment un peu partout pour réclamer des solutions. Cette contestation se traduit tantôt par des heurts, plus ou moins violents, entre des jeunes et les forces de l’ordre, tantôt par une grève générale et un black-out dans telle ou telle région.
Tous les partis politiques ont démontré leur incapacité à proposer des solutions à la crise. Face à ce constat d’échec, plusieurs initiatives, proposant des plans de sortie de crise, voient le jour. Celle émanant de la centrale syndicale UGTT est la plus importante. Celle-ci vient d’être adoptée par le président de la République. Ces initiatives affaiblissent davantage l’actuel gouvernement, sans pour autant trouver d’écho favorable auprès des classes populaires principales victimes de la crise.