Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas à cause d’une forfanterie de banquier que la Suisse fait la une de la presse mondiale. La nouvelle est celle de l‘acceptation par deux tiers des électeurs de la loi dite « contre les rémunérations abusives ». Son contenu modère cependant son titre. Si la majorité a voté contre les rémunérations faramineuses versées à certains top-managers, la loi est beaucoup moins ambitieuse. Proposée par le politicien ultra-libéral Thomas Minder, elle n’interdit pas des rémunérations que la crise a rendues encore plus scandaleuses aux yeux des salariéEs dont, d’après une étude récente, 12 % sont des travailleurEs pauvres. Son unique objectif est d’accorder plus de droits aux actionnaires des entreprises cotées en bourse en matière de rémunérations des managers. Jusqu’ici décidées par les seuls conseils d’administration des grandes entreprises, ces dernières dépassent souvent l’entendement. Par exemple, Daniel Vasella, PDG démissionnaire de Novartis, a fait scandale en acceptant 72 millions de francs suisses, soit 60 millions d’euros pour ne pas s’engager chez la concurrence durant cinq ans. D’autres continuent à percevoir des traitements extravagants comme Peter Brabeck, PDG de Nestlé, qui touche plus de 15 000 euros… par jour. L’adoption de la loi n’interdit pas ces rémunérations, elle donne juste le droit aux actionnaires de les autoriser ou de les refuser. La loi ne s’en prend pas non plus aux vrais propriétaires du capital qui ne sont pas les managers, mais ceux qui détiennent les paquets d’actions. Expression de la colère socialeC’est en ce sens qu’il faut comprendre la campagne des associations patronales contre Minder. Protégés par un immense anonymat – la Suisse reste un des rares pays au monde où existent encore des actions au porteur – les vrais grands patrons ont voulu garder la main sur les décisions et continuer à gérer les grandes entreprises en cooptant de fidèles managers. Le fait que l’association patronale « economiesuisse » ait fait preuve de beaucoup d’arrogance en publiant notamment une fausse vidéo a aussi contribué au succès de l’initiative Minder. Cela a contribué à alimenter la colère sociale qui s’est exprimée par ce vote. Par un effet de miroir, il a donné un contenu social, perçu comme antilibéral, à un projet qui octroie aux actionnaires un pouvoir accru, sur les rémunérations des top-managers, mais aussi sur la politique salariale des entreprises. Paolo Gilardi (Gauche anticapitaliste, Suisse)
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