Depuis le début de la guerre en Ukraine, Luca de Meo, le directeur général de Renault marche sur des œufs.
Sommé comme la plupart des grands groupes occidentaux de se désengager de Russie – Renault a même été directement dénoncé par le président ukrainien Volodymir Zelenski comme un des « sponsors de la machine de la guerre russe » durant son intervention devant le Parlement français – le groupe est en effet très bien placé sur le marché russe grâce à AvtoVAZ. Le hic, c’est que le partenaire clé de Renault en Russie n’est autre que Rostec, un conglomérat géant qui est le bras armé du régime de Poutine dans l’économie russe et qui est visé depuis 2014 par les sanctions économiques occidentales du fait de son rôle dans l’occupation de la Crimée et du Donbass. Pire encore le dirigeant de Rostec n’est autre que Sergueï Tchemezov, un ancien du KGB et un des principaux associés du président russe.
Jusque-là, ces fréquentations douteuses n’avaient jamais trop dérangé les cadres dirigeants de Renault qui sont habitués de longue date à frayer avec des dictatures ou des régimes policiers proposant une main-d’œuvre bon marché, comme en Turquie ou au Maroc par exemple. Carlos Ghosn, l’ancien PDG de Renault, se vantait même carrément, lui, d’entretenir des « relations amicales » avec Poutine dont la responsabilité dans les massacres en Tchétchénie ou en Syrie était déjà écrasante.
Les Meo pour le dire
Cette fois la pression s’est avérée trop forte et après de nombreuses contorsions, Renault a finalement annoncé la suspension des activités de l’usine Renault de Moscou (celle de AvtoVAZ à Toggliati étant suspendue jusqu’au 24 avril suite aux ruptures d’approvisionnement). Comme l’a constaté De Meo avec dépit dans une intervention vidéo interne : « Renault est dans une situation complexe qui affecte les bénéfices et les ventes ». De fait, à cause de la guerre, la capitalisation boursière du groupe a fondu de 40 % en un mois… Et si la situation semble partie pour durer, la direction de Renault semble, elle, bien décidée à garder toutes les options ouvertes pour continuer ses fructueuses affaires avec le régule poutinien. À tel point que lorsque la com’ interne du groupe évoque le conflit c’est toujours sous le terme vague de « crise ukrainienne », histoire de ne pas fâcher ses associés russes.
Mais ce verbiage cynique de De Meo a beaucoup choqué en interne, comme en témoigne les vagues de critiques de la part des salariéEs français, mais aussi roumains ou parfois russes, dans la rubrique des commentaires du site… que Renault a préféré fermer devant la virulence des protestations ! Parallèlement d’autres salariéEs ont témoigné de leur solidarité avec leurs collègues russes, touchés par la mise au chômage technique, les sanctions occidentales et la répression de la dictature.
Should I stay or should I go ?
C’est que comme partout, beaucoup de salariéEs de Renault sont révulsés par l’invasion de l’Ukraine et cherchent à se rendre utiles pour venir en aide aux réfugiéEs qui affluent en Europe, et discutent entre eux de l’opportunité de maintenir les activités du groupe en Russie. Partir pour ne pas contribuer au pouvoir économique de la dictature poutinienne ? Rester pour ne pas abandonner les 45 000 salariéEs du groupe en Russie ?
S’il n’existe pas de solution satisfaisante sur une planète livrée tout entière à la guerre et à l’exploitation, où aucun pays ne peut se targuer d’être plus respectable que son voisin, ces discussions spontanées entre les travailleurEs de Renault montre au moins que, malgré la guerre et les propagandes adverses, il existe toujours la possibilité de faire émerger une conscience internationaliste.