Publié le Mercredi 7 juin 2017 à 10h12.

Royaume-Uni : Instabilité et espoir

Au moment où cet article est écrit, les résultats de l’élection ne sont pas encore connus. Ils risquent néanmoins d’être très différents de la bérézina prévue pour Corbyn et le Parti travailliste il y a deux mois.

En convoquant des élections législatives anticipées, la Première ministre Theresa May espérait les emporter avec une large majorité et résoudre ainsi une série de difficultés, notamment au sein d’un parti conservateur très divisé (voir l’Anticapitaliste n°381). Lors du lancement de la campagne, les sondages semblaient lui donner raison, plaçant les conservateurs jusqu’à 20 % devant les travaillistes. À la veille du scrutin, l’avance est tombée à 3 %, et personne ne peut prédire avec certitude le résultat des urnes.

Cette instabilité est en grande partie le reflet d’une situation internationale elle-même très instable, avec un approfondissement de la crise, l’incapacité des partis traditionnels à la résoudre, et l’émergence de mouvements populaires qui renouent avec la politique de la gauche social-démocrate (Syriza, Sanders, Mélenchon, SNP, Corbyn…).

Au Royaume-Uni, la droite conservatrice a eu beaucoup de mal à vendre ses recettes néolibérales. Le slogan de la campagne de May était « Une direction forte et stable ». Mais dès les premiers jours, une mesure qui prévoyait de prélever sur les successions les frais des soins pour les personnes âgées s’est révélée tellement impopulaire que May a été obligée de faire marche arrière et de la retirer.

La gauche Corbyn

Quant à Corbyn, il a présenté le manifeste du Parti travailliste le plus à gauche depuis 1983. Ce n’est certes pas un programme anticapitaliste radical, encore moins révolutionnaire. Par exemple, y figurent le maintien du programme des missiles nucléaires, la participation à l’Otan, le contrôle de l’immigration et l’embauche de 10 000 policiers supplémentaires !

En même temps, il propose un SMIC à 10 £ (13 euros), des nationalisations dont les chemins de fer et la poste, et un investissement massif dans les services publics. Ce sont, entre autres, les propositions pour l’éducation qui ont attiré beaucoup de jeunes, avec l’abolition des contrats à zéro heure et surtout le rétablissement de la gratuité des études supérieures, abolie scandaleusement par les travaillistes. En moyenne la dette à rembourser pour un étudiantE s’élève à 40 000 euros.

Le niveau de participation au scrutin des jeunes sera crucial. Dans les sondages, Corbyn est très majoritaire chez les 18-24 ans. Mais aux dernières élections, seuls 43 % d’entre eux ont voté, contre 78 % des plus de 65 ans.

Après les attentats

Enfin, il semble y avoir un effet boomerang de la tentative des conservateurs de faire de la campagne une bataille entre May et Corbyn, présentant ce dernier comme un homme sans expérience ministérielle et pas crédible. À l’arrivée, le côté homme du peuple, simple, sincère et fidèle à ses convictions, a été apprécié par l’électorat de gauche et par des jeunes dégoûtés par le comportement de politiciens corrompus et opportunistes.

La dernière surprise est venue après les attentats de Manchester. Au lieu de l’habituelle surenchère nationaliste, sécuritaire voire raciste, Corbyn a maintenu ses positions de militant de longue date contre la guerre. Sa dénonciation de la très forte implication britannique dans les guerres étrangères, notamment en Libye (pays d’origine du jeune terroriste de Manchester), a sonné juste dans un pays où la mémoire de l’immense mouvement contre la guerre en 2003 est encore présente.

Enfin, jusqu’à présent, en défendant un Brexit « dur » et anti-migrants, Theresa May a sans doute siphonné une partie des voix de l’UKIP. Mais avec son discours de gauche, Corbyn semble aussi avoir regagné une partie de l’électorat populaire qui avait abandonné les travaillistes pour ce parti (qui du coup a chuté dans les sondages).

Difficile donc de prédire le résultat, d’autant plus avec un système de vote à un tour où un petit changement en pourcentage peut se traduire en un grand changement en nombre de sièges. En tout cas, le scénario d’une énorme défaite de Corbyn et l’obligation pour lui de démissionner semble s’éloigner. La situation sera sans doute encore plus instable qu’avant : une victoire de Corbyn et la mise en place même d’une partie de son programme soulèveraient une offensive implacable du patronat et des médias, alors qu’une courte victoire de May pourrait signifier une riposte de la rue par une partie de la gauche syndicale et politique regonflé par la campagne de Corbyn.

Étant donné le système électoral, la polarisation très nette entre droite et gauche et la forte volonté de porter Corbyn au gouvernement, toute la gauche anticapitaliste et révolutionnaire a décidé de ne pas présenter de candidats, mais de soutenir Corbyn... et de préparer la suite. Les mois qui viennent risquent d’être riches en débats au sein de toute la gauche et espérons-le en luttes unitaires contre les inévitables attaques du patronat.

Ross Harrold