Étranger au petit monde de la «rwandologie»1, le livre de Jacques Morel « La France au cœur du génocide des Tutsi2 », poursuit le travail pionnier de J.-P. Gouteux3 sur le soutien de l’État français aux génocidaires. L’ampleur et la précision de sa documentation le rendent indispensable. Votre livre s’ouvre sur une citation de Dante : « Vous qui entrez, laissez toute espérance ». Quelle espérance le lecteur doit-il abandonner ?Cette phrase décrit pour le lecteur la situation des Tutsi au Rwanda en 1994. Ils n’avaient plus à espérer de quiconque, ni de l’État, ni de l’Église, ni de la communauté internationale. Les gendarmes chargés de les protéger ont été dans les premiers à tirer sur eux. Quand l’État désigne les victimes par une mention raciale sur les cartes d’identité, qu’il ordonne de les tuer, que ses représentants, chargés de la sécurité des personnes, se mettent à tuer le groupe ainsi désigné, l’on comprend ce qu’est un génocide. L’Église catholique a aussi participé aux tueries. L’idéologie du génocide vient d’elle pour une grande part. La fable des Tutsi aristocrates venus d’Éthiopie, qui ont envahi le Rwanda et réduit les Hutu en esclavage, a été colportée par les missionnaires. Ils ont déclaré d’abord que les Tutsi étaient d’une race supérieure et les ont privilégiés. Mais quand, dans les années cinquante, l’élite tutsi, sur laquelle se reposaient les colonisateurs belges, songea à l’indépendance et à retirer le monopole de l’enseignement aux missionnaires, ceux-ci, par peur du communisme, renversèrent leur alliance et se mirent à soutenir un mouvement raciste hutu, qui se livra à des massacres à partir de 1959. Il n’y avait pas plus à espérer des organisations internationales, qui, quoique bien informées, se sont bouché les yeux. Quant à la France, elle a soutenu les tueurs tout au long.Comment éclairer le plus grand nombre quand les élites sont si imperméables aux faits ? En France, l’affaire est un secret d’État. Tant les politiciens de gauche que de droite sont impliqués. Donc on se tait.L’information touchant au Rwanda est contrôlée par l’armée. Des publicistes sont chargés de détourner l’accusation sur les États-Unis, l’ONU ou le FPR (Front patriotique rwandais) qui a mis fin au génocide. La politique étrangère n’est pas discutée, le déclenchement d’opérations militaires ne dépend que d’un seul homme, le président de la République. Habilité à déclencher la frappe nucléaire, il jouit du droit de faire mettre à mort, fût-ce par des fusils, des grenades ou des machettes, des centaines de milliers d’hommes. Il faudrait que le citoyen puisse savoir ce qui a été fait en son nom. Les médias ne devraient pas être sous le contrôle de l’exécutif ou des fabricants d’armes. La politique africaine de la France devrait cesser de reposer sur l’envoi de militaires qui maintiennent au pouvoir des criminels à la botte de Paris. L’impunité totale des auteurs de crimes coloniaux est un sérieux obstacle, selon vous, à la mise en cause des complices français du génocide. Comment le lever ? Cette impunité repose sur un mépris, un racisme, inscrit dans notre culture depuis le Code noir ou même les croisades. La iiie République s’est taillé un empire colonial en taisant les massacres commis au nom d’une prétendue mission civilisatrice. L’impunité sert aussi des intérêts économiques : n’est-ce pas grâce aux massacres perpétrés par les capitaines Voulet et Chanoine, qu’Areva exploite l’uranium du Niger à vil prix ? Il n’y a pas de recours contre ces crimes du passé. Sauf pour le Rwanda. Puisque le crime de génocide a été introduit dans le code pénal en mars 1994, il est juridiquement possible de demander aux dirigeants français de rendre des comptes devant un tribunal. Certains d’entre eux sont toujours aux commandes de l’État. Il faudrait au minimum qu’ils soient écartés et que des réparations soient versées aux survivants. Il faudrait aussi permettre l’accès aux archives de l’exécutif et ne pas le réserver aux seuls historiens.Quelles questions vous posez-vous encore ? Il y a en France un enchaînement sans fin des crimes d’État. C’est parce que les crimes commis en Algérie sont restés impunis que le génocide a été possible au Rwanda. Un homme symbolise ce lien. Il a commencé à la Cagoule, est passé par Vichy puis a couvert l’élimination des patriotes algériens, c’est Mitterrand. Il a su fédérer la gauche, arriver à l’Élysée, et en 1994 au Rwanda faire tuer quatorze fois plus de Tutsi que son ami Bousquet avait fait tuer de juifs. Quand les Français admettront-ils qu’ils ont été mystifiés ? Propos recueillis par Julie Girot1. L’expression est du préfacier, José Kagabo.2. Jacques Morel, La France au cœur du génocide des Tutsi, Izuba/L’Esprit Frappeur, 2010.3. Jean-Paul Gouteux, La Nuit rwandaise, Izuba/L’Esprit Frappeur, 2002.