Dans un climat de luttes sociales et alors que la grève générale devait se tenir, mercredi 10 décembre, la mort d’un jeune de 15 ans, tué par la police à Athènes, samedi 6 décembre, a mis le feu aux poudres.
Le quartier d'Exarcheia, dans le centre d’Athènes, est l’un des plus vivants. Ayant jusqu'ici réussi à éviter le sort d'autres quartiers rénovés et devenus hors de prix, la population de ce quartier est socialement mixte: vieux ouvriers et artisans, étudiants, professions intellectuelles… Bourré de cafés, de tavernes, de petits théâtres, près de plusieurs facs, dont l'historique École polytechnique (sans statut militaire), ce quartier attire chaque week-end de nombreux jeunes. En même temps, prétextant des dégradations, la police s'y fait depuis plusieurs mois de plus en plus visible et provocatrice. Samedi 6 décembre, Alexis Grigoropoulos, 15 ans, avait donc rejoint Exarcheia, pour passer une soirée sympa avec ses copains.
Il semble qu'au passage de deux flics, le groupe de jeunes leur ait lancé des noms d'oiseaux, comme le font de nombreux jeunes Grecs chaque jour. Aucune manifestation donc, et aucun jet de pierres, contrairement à ce qu'ont systématiquement diffusé les informations en France, reprenant les infos du ministère de l'Intérieur. En réaction, l’un des deux flics des « forces spéciales », sans sommation, a tiré semble-t-il à trois reprises en pleine poitrine sur Alexis. Ce n'est donc sûrement pas une « bavure » (selon le policier, la balle aurait ricoché)…
La brutalité policière n'est pas nouvelle : le meurtre d'Alexis rappelle celui de Michalis Kaltezas, tué à 15 ans, en 1985. Pourtant, il est clair que, depuis deux ans, la répression devient systématique: contre les mobilisations étudiantes de 2006-2007, culminant avec le tabassage par un groupe de flics d'un jeune étudiant chypriote laissé pour mort. Depuis, la moindre manifestation reçoit matraques, gaz lacrymogènes et chlore, comme on l'a vu encore le jeudi 4 décembre, lors de la grande manifestation étudiante dénonçant le passage en force de la droite pour ouvrir des facs privées. Même traitement contre les manifestations de travailleurs ou d'habitants en lutte contre la pollution. Inutile d'ajouter que les immigrés, avec ou sans papiers, sont en première ligne; la mort récente d'un Pakistanais, dans un commissariat, semble avoir comme origine une brutalité policière. Forts de cette impunité, les « batsi » se croient apparemment tout permis, couverts jusqu'ici par le ministre de « l'Ordre public' »: le meurtre d'Alexis s'inscrit dans cet inquiétant processus.
Ce meurtre a provoqué une immense vague d'émotion dans toute la Grèce, toutes générations confondues, comme cela était visible sur les trottoirs de la manifestation, dimanche 7 décembre. Le lendemain, la jeunesse scolarisée, partout en Grèce, est partie en manifestations, avec une participation impressionnante des collégiens. Beaucoup de commentaires expliquent cette colère par le contexte du chômage (23% des jeunes), la précarité et l'absence de perspectives. Mais il faut aussi la situer dans le droit fil d'une mobilisation permanente, cet automne: étudiants contre la privatisation des facs, collégiens et lycéens en occupations contre l'absence de moyens et contre un système éducatif poussant au bachotage dès le collège et aux cours privés complémentaires... Qu'un jeune comme eux, voulant échapper pour une soirée à ce conditionnement, se fasse tirer dessus leur est tout simplement insupportable. Dans les jours qui viennent, l'enjeu réside dans la capacité des jeunes à structurer démocratiquement leur révolte, comme ont commencé à le faire les étudiants.
Crise et répression
D'autres manifestations ont eu lieu : nuit chaude dans le centre d'Athènes dans la nuit du samedi au dimanche, avec destruction – et mise au chômage des employés – de magasins. Dimanche 7 décembre après-midi, plusieurs milliers de manifestants ont défilé jusqu'à la préfecture de police, à l'appel quasi exclusif de l'extrême gauche, du Synapismos et de la mouvance autonome. Lundi 8 décembre au soir, deux manifestations ont réuni environ 5000 personnes pour le KKE (Parti communiste grec) et plus de 10000 pour l'extrême-gauche et le Syriza.
Pourtant, de l'ampleur et de la force de ces manifestations, personne n'a parlé : ce qui fait événement, ce sont les scènes de casse, qui ont atteint, dans la nuit du lundi au mardi, un niveau jamais vu et inquiétant, plusieurs personnes ayant failli brûler dans des bureaux incendiés. S'il est clair que ces actions, qui ont eu lieu dans plusieurs villes du pays, expriment en partie un désespoir social, il y a peu à voir avec la révolte des banlieues en France. Pour éviter l'impasse, d'autant plus terrible qu'elle renvoie à l'incapacité de la gauche et de l'extrême gauche grecques à organiser des mobilisations sociales unitaires et résolues, la colère sociale doit se doter de formes et de débouchés politiques.
L'urgence est désormais que les mobilisations jeunes se développent en lien avec les luttes des travailleurs – une grève générale massive de 24 heures devait avoir lieu, mercredi 10 décembre, alors que les enseignants étaient déjà en grève. Ce sera le meilleur moyen de faire prendre conscience du lien entre la crise capitaliste et la répression policière menée par le gouvernement de la droite libérale, que le mouvement social doit chasser.