Publié le Mercredi 19 septembre 2018 à 14h30.

Suède : l’extrême droite creuse son sillon

Retour sur les élections législatives en Suède, qui se sont déroulées le 9 septembre, avec des extraits d’un article publié sur le site À l’encontre, sous le titre « Suède : deux revers d'importance ».

Jusqu’en octobre 2015, il y avait un large consensus sur le fait que les Suédois étaient prêts à « ouvrir leur cœur » [aux migrantEs], pour citer l’ancien chef du parti conservateur Fredrik Reinfeldt. Au départ, seuls les Démocrates de Suède [extrême droite] ont critiqué l’immigration massive. 

Adaptation à l’extrême droite

Lorsque le parti a commencé à se développer et que les lacunes dans l’organisation de l’accueil des réfugiéEs sont devenues évidentes, la plupart des principaux partis, y compris la social-démocratie, ont accepté de mettre un point d’arrêt à cette pratique et d’adapter la politique suédoise d’immigration aux critères minimums de l’UE. Ce changement n’était pas seulement une adaptation formelle, il s’accompagnait d’une montée des sentiments anti-immigrés, d’une agitation antimusulmane et d’exigences pour une législation plus sévère dirigée contre ce qui était prétendu être des crimes liés aux immigrants, y compris de la part des partis traditionnels, dont les sociaux-démocrates au gouvernement.

Il est évident que l’une des raisons de cette évolution réside dans la manière dont ont réagi les sociaux-démocrates et les conservateurs face aux Démocrates de Suède. Comme on pouvait s’y attendre de l’expérience d’autres pays, leur revirement de tactique n’a pas fonctionné. Les Démocrates de Suède ont continué à se développer aux dépens de ces deux partis, en particulier.

Le résultat de l’élection de septembre 2018 confirme cette conclusion. Les sociaux-démocrates sont tombés à 28,4 % [– 2,8 %], leur résultat le plus bas depuis leur victoire électorale obtenue en 1921. Les conservateurs ont perdu encore plus, soit 3,5 %. Et les Démocrates de Suède ont gagné près de 5 %, atteignant les 17,5 %. Un autre élément intéressant de ces élections réside dans le résultat obtenu par le Parti de gauche qui a gagné 2,2 % pour obtenir 7,9 %. Ce parti a fait une bonne campagne et a réussi à mobiliser un nombre impressionnant de jeunes.

L’extrême droite en position d’arbitre ? 

Dans une perspective européenne, le résultat des élections n’est peut-être pas étonnant. La Suède s’adapte à une tendance internationale. Mais, dans le contexte suédois, il s’agit d’une situation nouvelle, et le résultat est un sérieux revers à plusieurs égards. Deux d’entre eux méritent d’être mentionnés ici. 

Le premier réside dans la menace d’une réelle influence des Démocrates de Suède sur la politique quotidienne du gouvernement. Il y a actuellement une impasse entre les deux blocs politiques traditionnels et les Démocrates de Suède pourraient décider qui sera le prochain Premier ministre. La ligne de démarcation qui existait jusqu’à présent entre les partis politiques traditionnels et le populisme xénophobe de droite extrême n’existe plus. Il est évident que les conservateurs sont prêts à entamer des négociations formelles ou informelles avec les Démocrates de Suède afin de pouvoir former un gouvernement de droite. L’expérience danoise démontre à quel point les conséquences peuvent être désastreuses dès lors que de telles formations peuvent fixer l’agenda politique.

Le second est lié à la gauche et à la classe ouvrière. Il est vrai que le Parti de gauche – les anciens communistes (PC) – a obtenu des gains substantiels – de 5,7 à 7,9 % – et surtout a pu mener une campagne électorale étonnante auprès des jeunes. Cependant, la gauche n’a jamais été aussi faible qu’aujourd’hui, en réunissant 35 % environ de l’électorat. Et la majorité de la classe ouvrière ne vote plus à gauche. Il y a 30 ans, 80 % de la classe ouvrière votait pour les sociaux-démocrates (et 10 % pour les communistes). En 2014, 50 % des membres de LO [Confédération syndicale des ouvriers ] ont encore voté pour les sociaux-démocrates. En 2018, seuls 37 % d’entre eux ont voté pour ces derniers (et 10 % pour le Parti de gauche).

Il est évident que la principale raison pour laquelle les sociaux-démocrates ont perdu leur forte position au sein de la classe ouvrière est qu’ils ont abdiqué face à ce qui était autrefois leur principale force : la défense d’un État-providence fondé sur l’égalité et la solidarité. Rien n’indique qu’ils ont tiré un enseignement quelconque de cette leçon. La principale ambition de la direction du parti pour résoudre la conjoncture politique présente est d’essayer de former une coalition avec les partis bourgeois, ce qui supposerait un nouvel affaiblissement de l’État-providence et des attaques renouvelées contre les droits de la classe ouvrière. 

Kjell Östberg