Le paysage en Syrie s’est obscurci encore plus après la frappe étatsunienne contre la base aérienne de Shayrat dans la nuit du 7 avril, en riposte à l’attaque chimique de Khan Cheikhoun.
Dans le mouvement anti-guerre international, le risque d’une guerre américaine imminente a été évoqué. Cependant, il est probable que l’objectif de cette frappe n’est pas un début d’invasion massive, mais plutôt la « communication » particulière de Trump. Le président populiste a déclaré sur Fox News le 12 avril que c’est pendant qu’il était en train de déguster « la plus belle part de gâteau au chocolat que vous ayez jamais vue » avec son homologue chinois Xi Jinping, qu’il a eu le message de l’armée américaine annonçant que tout était prêt, et qu’il a donné donc son accord pour lancer « 59 missiles en direction de l’Irak » (corrigé par la journaliste en « Syrie »).
Une ambiance de retour à l’époque de « la guerre froide » s’est installée dans les médias, avec des déclarations hostiles entre les Américains et les Russes, comme si une nouvelle stratégie américaine en Syrie était mise en place, en rupture avec celle de l’administration Obama. Mais le porte-parole du ministère de la Défense russe, Igor Konachenkov, a déclaré que « seuls 23 des 59 missiles Tomahawk ont atteint l’aérodrome, le point de chute des 36 autres étant pour l’instant inconnu ». Et les dégâts dans la base Shayrat n’ont pas empêché la reprise de l’activité de cet aéroport dès le lendemain.
Le 12 avril, la Russie a opposé son huitième veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui condamnait l’utilisation de l’arme chimique le 4 avril à Khan Cheikhoun et appelait à la constitution d’une commission d’enquête internationale. Une fois de plus, la Russie de Poutine a protégé son allié, le régime sanguinaire d’Assad. Tout redémarre comme avant...
Jeux dangereux
La réunion du G7 du 10-11 avril, n’a qu’à peine changé la thématique « il n’y a pas d’avenir de la Syrie possible avec Bachar el-Assad », selon le compromis de cette réunion exprimé par Jean-Marc Ayrault. Aucune sanction supplémentaire n’a pourtant été décidée. En fait, les déclarations des pays occidentaux sont plus agressives vis-à-vis d’Assad... mais ces pays tiennent à préserver son régime.
C’est toujours la politique de la « transition ordonnée » qui est prônée, c’est-à-dire conserver le régime, en changeant si possible sa tête. Les pays occidentaux souhaitent contenir le drame humanitaire le plus catastrophique depuis la Seconde Guerre mondiale qui est aussi à l’origine des vagues migratoires vers l’Europe, et pour cela, fait tout pour les stopper.
Cette frappe US a aussi une importance géopolitique dans la cadre d’une rivalité entre les grandes puissances, car elle a été suivie par la largage de la plus grande bombe non nucléaire sur l’Afghanistan le 13 avril, puis par l’annonce de l’envoi du porte-avions USS Carl Vinson et de son escorte vers la péninsule coréenne. Il y a là un jeu géopolitique dangereux de cette administration Trump pour imposer une hégémonie globale pourtant fragilisée.
La population dans l’étau
Pendant ce temps, l’offensive du régime Assad et ses alliés s’intensifie sur tous les fronts, comme le montre le 16 avril la reprise de la ville importante de Sourane, dans la campagne de Hama, au centre du pays. L’échange forcé de populations entre, d’une part, le régime et ses alliés et, d’autre part, les groupes djihadistes continue, comme le troc des populations de Zabbadani et Madaya, près de Damas, contre celles de Fouaa et Kefrya (bourgs chiites près d’Idlib, considérés comme loyalistes). La population civile de ces quatre villes a manifesté contre cet échange, mais a été forcée à l’accepter par les factions armées confessionnelles (régime et Hezbollah d’un côté, et Jahbat al-Nosra de l’autre).
En plus de la souffrance de quitter leurs maisons, un attentat-suicide non revendiqué contre les bus transportant les civils de Fouaa et Kefrya a causé la mort de 129 personnes dont plus de 60 enfants. La solidarité et le sauvetage des combattants de l’Armée syrienne libre présents sur place avec ces civils victimes ont été exemplaires, contrairement à la propagande et au comportement du régime. Un élan de solidarité avec les victimes a eu lieu partout, avec des manifestations dans plusieurs villes, et une condamnation large par l’opposition de cet acte barbare. Mais les multiples forces contre-révolutionnaires qui s’entretuent se moquent toujours des vies des civils qui paient le prix le plus fort.
En dépit de la situation difficile du peuple syrien, de ses forces démocratiques et progressistes dans sa lutte pour son émancipation, les masses syriennes se lèvent et manifestent : contre le régime et toutes les forces contre-révolutionnaires, contre les ingérences étrangères pour la liberté, pour l’égalité et la justice sociale. La dernière manifestation du lundi 17 avril, dans la région Aswayda, sous contrôle du régime en est le dernier exemple, et cette lutte nécessite la solidarité internationaliste.
Ghayath Naisse