L’Est du Tchad est une poudrière dont l’explosion pourrait déstabiliser l’ensemble du pays ainsi que les pays voisins et aggraver une situation humanitaire déjà désastreuse. Les conflits locaux fondés sur la raréfaction des ressources ont été exacerbés par des manipulations politiques nationales et régionales. La population a déjà énormément souffert des conflits internes tchadiens, de la guerre du Darfour et de la guerre Tchado-Soudanaise. Les deux gouvernements, avec le soutien de leurs partenaires internationaux, devraient reprendre négociations de Dakar, mais une conférence spécifique dédiée au conflit à l’Est du Tchad devrait également être organisée afin que les acteurs locaux et nationaux trouvent des solutions aux causes internes de la crise. Elle devrait être intégrée dans les structures existantes du processus de paix Tchadien.
L’incapacité des régimes successifs tchadiens à assurer la sécurité et le bien être des populations orientales a enracinée leur méfiance vis-à-vis du pouvoir central. Afin de contrer les mouvements armés, les régimes successifs d’Hissene Habré et maintenant d’Idriss Deby Itno ont divisé pour mieux régner, montant les groupes ethniques les uns contre les autres; cependant la région n’avait pas connu de guerre ouverte depuis 2003 malgré un climat délétère et de sanglants incidents sporadiques. Les problèmes humanitaires et sécuritaires qui la secouent depuis lors sont sans précédent.
Les effets du conflit de Darfour renforcent les solidarités intercommunautaires transfrontalières et aggravent les affrontements interethniques. Les bouleversements démographiques dus a l’afflux de réfugies soudanais et a des déplacements internes a grande échelle ont augmenté la lutte pour l’accès aux ressources. Le gouvernement tchadien et les groupes rebelles ont tous armé leurs partisans, ce qui a rendu les actes de banditismes et les disputes intercommunautaires pour l’usage de la terre entre éleveurs et agriculteurs encore plus sanglants et le travail des humanitaires de plus en plus difficile. Le gouvernement central a systématiquement adopté les mécanismes traditionnels de médiation et de gestion des conflits tels que la diyah (la compensation traditionnelle versée par l’auteur d’un crime de sang) à ses propres fins politiques. Ce qui fait que tuer dans cette partie de la planète est devenue le sport favori de ces groupes assoiffés de sang.
Depuis plus de cinq ans Idriss Deby Itno instrumentalise la crise dans l’Est du Tchad pour se maintenir au pouvoir. Deby est parvenu, non seulement à diviser ses opposants au niveau local à l’Est, mais aussi à verrouiller l’espace politique de ses adversaires sur le plan national. Stratégie qui s’est déroulée en deux étapes. Primo: en 2004-2005, le gouvernement a cherché en vain à consolider le soutien de sa base ethnique Zaghawa et Tama dans le Dar Tama, prétendant que le Front Uni pour le Changement (FUC), la principale coalition rebelle à l’époque, était une alliance entre les Tama et les tristement célèbres Janjawid milices armées par Khartoum pour éliminer les Zaghawa de part et d’autres de la frontière. A la communauté internationale il a également décrit le FUC comme «le bras armé tchadien du régime islamiste soudanais», dans un contexte marqué par la multiplication des raids des Janjawid contre les réfugiés soudanais au Tchad, cet argument a porté.
Secundo, depuis 2006 jusqu’à nos jours le gouvernement a tenté, avec un succès limité, de rallier les membres du groupe ethnique Dadjo dans le Dar Sila en soutenant a la fois les groupe d’autodéfense Dadjo existants et la création de nouveaux groupes, principalement des milices Dadjo. Ce soutient est censé protéger les populations civiles contre les attaques Janjawid, mais son objectif réel est de recruter les Dadjo pour se battre contre les groupes rebelles tchadiens. De leur coté, les dirigeants rebelles se sont servis de la crise du Darfour pour justifier politiquement un combat essentiellement motivé par des griefs personnels a l’encontre de Deby. De son cote le Soudan a exacerbé l’instabilité à l’Est en soutenant pratiquement tous les groupes rebelles malgré de profondes divisions ethniques entre eux.
La communauté internationale a déployé depuis février 2008 un duo de mission de maintien de la paix afin de diminuer les effets d’une contagion du conflit Soudanais dans l’Est du Tchad: une force européenne (Eufor) et la mission des Nations Unis en république Centrafricaine et au Tchad (Minurcat). Pourtant aucune des deux n’a pu véritablement améliorer la situation sécuritaire. Le 15 mars 2009, la Minurcat a repris les responsabilités de l’Eufor, mais a reçu un mandat qui, comme celui de son prédécesseur, est limité a la réduction de l’insécurité dans les camps de réfugiés et de déplacés et leurs alentours, mais qui n’inclut pas, comme il le faudrait, la promotion d’un processus politique qui traite les causes tchadienne de la crise. La communauté internationale doit mettre fin à la politique de l’autruche et traiter des causes profondes de la crise en poussant le gouvernement tchadien a l’organisation de la conférence sur le conflit dans l’Est du Tchad mentionnée ci-dessus. Celle-ci devrait inclure les représentants du gouvernement central, les groupes rebelles, les chefs coutumiers et les partis politiques de l’opposition. Elle devrait examiner les causes politiques fondamentales de l’instabilité dans l’Est et mettre en place le cadre adéquat pour les traiter. La Minurcat devrait être mandatée pour organiser cette conférence et pour sélectionner de façon neutre les participants.
La France, qui a renforcé Deby sans aider les Tchadiens à trouver une solution durable à la crise actuelle, devrait faire pression sur le gouvernement pour qu’il collabore avec les communautés de l’Est a l’organisation d’une telle conférence.
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International Crisis Group