Publié le Dimanche 27 janvier 2013 à 11h06.

Tunisie « Un véritable climat d'insécurité pour les citoyens »

Entretien. Mohamed Jmour est secrétaire général adjoint du Parti des patriotes démocrates unifiés, une des composantes du Front populaire pour la réalisation des objectifs de la révolution. Militant marxiste-léniniste depuis les années 1970, il faisait partie du collectif d'avocats ayant participé à la défense des inculpés de Gafsa en 2008-2010. Mohamed avait participé aux rencontres anticapitalistes méditerranéennes organisées par le NPA en mai 2011.Comment ont évolué les mobilisations depuis le 14 janvier 2011 ?Les mouvements sociaux n'ont jamais cessé. Depuis novembre dernier, par exemple, des grèves générales ont eu lieu dans de nombreuses villes et localités. Ces mobilisations ont des revendications à la fois politiques, économiques et sociales. Au niveau politique, il est le plus souvent exigé le départ du gouverneur ou du délégué (un peu l'équivalent des préfets et sous préfets français). Généralement, ceux-ci ont été nommés par Ennahdha et sont membres ou proches de ce parti. La population demande également des mesuresconcrètes au niveau économique, c'est-à-dire la création de projets et d'emplois. Bien entendu, il y a toujours aussi la revendication de l'amélioration des services publics, et notamment de l'infrastructure routière, des écoles et des hôpitaux.L'UGTT encadre les mobilisations de salariéEs, mais son action ne se limite pas à cela : à travers ses unions régionales et locales, elle encadre également des grèves générales de régions entières ou de délégations, comme à Siliana ou à Sned. Les citoyens tunisiens demandent le soutien de la centrale syndicale, et les militants de l'UGTT s'impliquent dans les mouvements sociaux. C'est cela qui irrite le gouvernement, et particulièrement Ennahdha. Cela constitue une cause de cette allergie d'Ennadha à l'égard de la centrale syndicale.Quelle est la situation au niveau institutionnel ? Le projet de Constitution n'a pas encore fini d'être rédigé. L'instance qui va chapeauter la justice n'est toujours pas crée, et son texte fondateur n'a toujours pas été voté. La loi concernant l'instance chargée de l'organisation des élections (ISIE) vient tout juste d'être votée, mais cela ne peut pas suffire pour fixer une date pour les prochaines élections. Nous n'avons, par exemple, toujours pas de Code électoral, ni de loi sur le financement des partis.Ennahdha prétend néanmoins que les élections peuvent être organisées le 23 juin. D'après l'ancien président de l'ISIE, Kamel Jendoubi, cela est impossible, et Ennahdha le sait pertinement. En effet, l'organisation matérielle des élections nécessite apparemment de 6 à 8 mois.Les partis politiques d'opposition craignent, ou ont le pressentiment, qu'Ennahdha fait en réalité tout son possible pour retarder les élections, en faisant endosser la responsabilitéde cela à ses adversaires. L'opposition soupçonne Ennahdha de vouloir attendre le moment où elle aura la certitude d'emporter la majorité absolue, sans avoir l'obligation de recourir à des alliances.Quelle place tiennent les milices islamistes ?Ennahdha recourt à des « Ligues de protection de la révolution » qui utilisent la violence. De l'aveu même du ministre de l'Intérieur, celles-ci sont formées par des militants  d'Ennahdha, d'anciens RCDistes, ainsi que de malfrats. On découvre par ailleurs de temps à autre des cellules salafistes dormantes ou actives. Ces différentes milices ont pourtâche essentielle d'intimider l'opposition et surtout de lui barrer la voie d'accès aux quartiers populaires. Comme l'avaient fait avant eux les fascistes italiens ou allemands, ou les néos-fascistes, les islamistes ont recours au lumpenprolétariat, des gens n'ayant aucune formation politique et idéologique, mais qui sont prêts à recourir à la violence contre les adversaires qu'on leur indique.Tout cela crée un véritable climat d'insécurité pour les citoyens, et envenime le climat politique.Propos recueillis par Dominique Lerouge