Suite à l’attentat-suicide de Daesh où 32 jeunes étudiantEs s’apprêtant à se rendre à Kobané pour participer à la reconstruction de la ville ont trouvé la mort, et aux représailles du PKK causant la mort de 2 policiers, l’État turc a lancé une vaste opération.
Cette opération s’est soldée par l’arrestation de centaines de militantEs kurdes, d’extrême-gauche et quelques dizaines de Daesh, ainsi que plusieurs bombardements aériens des camps du PKK dans le nord de l’Irak.
Une politique étrangère guerrière
Si l’attentat de Suruç a été organisé par l’organisation djihadiste Daesh, c’est bel et bien la politique extérieure guerrière du régime Erdogan qui a fourni les conditions dans lesquelles la barbarie djihadiste a pu se déployer sur le territoire turc.
La diplomatie turque, dirigée depuis 2009 par le ministre des Affaires étrangères puis actuel Premier ministre Ahmet Davutoglu, avait pour objectif une « normalisation » des rapports de la Turquie avec les pays voisins, paradoxalement accompagné de la motivation « néo-ottomane » d’établir une hégémonie politico-culturelle et économique sur les pays du Moyen-Orient.
Mais avec la révolte populaire en Syrie, Ankara a misé sur un renversement rapide de Bachar el-Assad. Cette illusion l’a entraîné à s’engager de tout son poids aux côtés des monarchies du Golfe et des États-Unis en soutenant l’opposition syrienne (l’ALS, puis les groupes djihadistes). Cependant, il s’est avéré que el-Assad tenait bon et que le régime n’était pas près de tomber. C’est ce que l’impérialisme occidental a fini par comprendre, mais pas l’AKP. Le parti au pouvoir. Une politique extérieure ne concordant plus avec aucune de celles de ses principaux alliés a fini par isoler l’État turc au niveau international.
L’AKP et Daesh : « L’ennemi de mon ennemi… »
Une des principales raisons de l’engagement du régime d’Erdogan dans le combat pour le renversement d’el-Assad fut certainement la présence d’une forte population kurde à la frontière turco-syrienne. La formation d’une administration régionale kurde au nord de l’Irak suite à l’intervention impérialiste en 2003 avait sans doute constitué un des traumatismes politiques les plus marquants de l’État turc. C’est donc manifestement la crainte de revoir le même scénario se réaliser à la suite d’un changement de régime en Syrie qui a poussé le gouvernement turc à tenter d’intervenir dans la crise syrienne dès le début du soulèvement et d’établir un contrôle sur l’opposition (face aux autres « amis de la Syrie »), tout d’abord avec les Frères musulmans, puis par le soutien à d’autres courants islamistes.
Alors qu’un processus de négociation (accompagné d’un cessez-le-feu) avec le leader du mouvement kurde, Öcalan, était en œuvre, le gouvernement turc est allé jusqu’à soutenir implicitement ou du moins souhaiter de tout cœur la prise de Kobané (où le PYD – organisation sœur du PKK – avait proclamé l’autonomie) par Daesh, permettant aux militants djihadistes de traverser librement la frontière dans les deux sens. Pour le régime d’Erdogan, une région dominée par Daesh à sa frontière était préférable, au point où malgré la pression des États-Unis, il ne participa que timidement et à contrecœur à la coalition anti-Daesh.
Erdogan joue sa dernière carte
Comme conséquence de cette politique (et aussi du fait que le processus de négociation ne donna aucun résultat concret), l’AKP perdit son soutien dans le Kurdistan de Turquie et le HDP (lié au mouvement kurde) obtint 13 % aux dernières élections, un résultat inattendu. Ainsi l’AKP n’était plus en mesure de former seul un gouvernement, comme cela était le cas depuis 2002.
Profitant de l’attentat de Suruç, l’AKP tente aujourd’hui, avec son changement de position envers Daesh, de redevenir un acteur crédible dans le Moyen-Orient aux yeux de l’impérialisme occidental, en particulier face à la montée de l’Iran avec l’accord sur le nucléaire. En retour, il obtient l’approbation de l’administration Obama pour ses frappes contre les camps du PKK.
Au niveau national, Erdogan espère que ce climat de conflit et de mobilisation anti-terroriste lui permettra de ré-émerger comme leader national, de discréditer le HDP, et de récupérer les voix passées à l’extrême droite. Tout cela renforcerait l’AKP dans le cas de forts probables élections anticipées, permettant ainsi la formation d’un nouveau gouvernement AKP et la transition à un régime présidentiel-autocratique dont il serait le sultan.
La guerre est effectivement la continuation de la politique par d’autres moyens. Aux forces de gauche et au peuple kurde de se mobiliser pour défendre la paix !
D’Istanbul, Uraz Aydin