Publié le Jeudi 7 juillet 2016 à 09h35.

Turquie : #nousnesommespasensécurité 

C’est l’aéroport d’Istanbul que les terroristes de Daesh ont cette fois pris comme cible. Fusillades, bombes à main, explosion kamikaze, l’attentat perpétré dans la soirée du 28 juin a causé la mort de 42 personnes.

Depuis l’attaque du meeting du HDP (parti réformiste de gauche lié au mouvement kurde) à Diyarbakir en juin 2015, en passant par celui de Suruç à la frontière syrienne, du rassemblement pour la paix à Ankara en octobre, ceux des centre-ville d’Ankara et d’Istanbul, réalisés tantôt par Daesh, tantôt par le TAK (organisation nationaliste kurde, présumée indépendante du PKK), ce nouvel attentat le 28 juin constitue le onzième attentat terroriste sur le territoire turc en un an... Le hashtag cité en titre de cet article reflète un état d’esprit collectif, et désormais permanent, qui rapproche les peuples de Turquie de ceux de Syrie et d’Irak (où au moins 213 personnes ont perdu la vie dimanche dernier dans un attentat revendiqué par Daesh). Et absolument rien ne nous permet d’espérer qu’il soit le dernier.

Cet attentat est survenu au lendemain d’un double acte de l’État turc visant à restaurer les rapports diplomatiques (et commerciaux bien sûr), d’une part avec la Russie et d’autre part avec Israël, en essayant de remédier ainsi à sa solitude au niveau international. Les rapports avec la Russie s’étaient rapidement détériorés après qu’un avion de chasse russe fut abattu à la frontière syrienne en novembre 2015, ce qui a été lourd de conséquences, notamment au niveau énergétique et touristique. Erdogan a finalement dû se résoudre à s’excuser auprès de Poutine pour restaurer les « relations traditionnellement amicales » entre les deux États...

Diplomatie à multiples facettes

Concernant Israël, les négociations visant à une « normalisation » des rapports suspendus depuis 2010 – quand l’armée israélienne avait lancé un assaut sur le navire Mavi Marmara qui tentait de briser le blocus sur Gaza, causant la mort de 10 personnes (liées a la fondation d’aide islamiste IHH) – avaient déjà débuté à partir de 2013 quand le Premier ministre Netanyahou s’était excusé auprès d’Erdogan à travers l’intervention d’Obama. Israël accepte désormais la deuxième condition d’Ankara, celle de verser des dommages pour les familles des victimes. La troisième condition était la levée du blocus, qui bien sûr reste inapplicable, mais Erdogan et son appareil idéologique ont tenté tant bien que mal de présenter la possibilité d’aide à travers le port d’Ashdod comme une conquête, au niveau de l’opinion publique turque musulmane, sensible à la question palestinienne.

Face aux critiques provoquées par cette normalisation des relations avec Israël, notamment de la part des islamistes radicaux de IHH, Erdogan n’a pas hésité, contrairement à tous ses discours antérieurs, à les blâmer, répliquant : « Est-ce que vous nous avez demandé notre avis avant d’y aller ? ». Mais pire encore, IHH, par un communiqué officiel, s’est empressé de s’excuser auprès d’Erdogan, en expliquant que les critiques ne le visaient pas…

Il est maintenant question de rétablir les liens avec la Syrie et l’Égypte. Si l’on ne peut savoir comment le régime Erdogan réussira à maintenir cette diplomatie à multiples facettes, nous pouvons par contre prévoir que Daesh ne lui pardonnera pas de l’avoir abandonné en route. Alors qu’une armée de policiers occupait littéralement jusqu’aux plus petites ruelles du centre-ville d’Istanbul pour empêcher le déroulement de la gay pride le dimanche 26 juin, que trois intellectuelLEs et journalistes renommés sont incarcérés pendant une dizaine de jours pour avoir en guise de solidarité rempli le poste de rédacteur en chef d’un quotidien pro-kurde pour une journée, sans parler bien entendu de la région kurde où des quartiers entiers sont en ruine, nous ne sommes décidément pas en sécurité.

D’Istanbul, Uraz Aydin