Pays connu par le rôle des interventions militaires dans sa culture politique, la Turquie a assisté dans la nuit du 15 juillet à une tentative de coup d’État – particulièrement sanglante – en direct, à travers les écrans et les médias sociaux.
C’est par la diffusion des informations concernant l’occupation des ponts d’Istanbul reliant les deux continents par des tanks militaires et les vols à basse altitude d’avions de chasse dont les habitants de la capitale ont pu être témoins, que l’opinion publique a été mise au courant qu’une tentative de coup d’État était en train de se dérouler.
Un putsch raté, puis la purge...
Par un communiqué diffusé sur le site web des forces armées, il est signalé que l’état-major a désormais pris le pouvoir, puis sur la chaîne de télé étatique occupée par des soldats, un groupe de militaires se nommant cette fois « le Conseil de paix dans la patrie » annonce avoir pris le pouvoir afin de restaurer la liberté et la démocratie et viser le rétablissement de la république laïque et des valeurs d’Atatürk face aux atteintes systématiques à la Constitution par le pouvoir politique. On réalise ainsi qu’il est question d’un putsch en dehors de la chaîne de commandement, d’autant plus que circule l’information que le chef de l’état-major est pris en otage, ainsi que d’autres hauts gradés.
Via une connexion par smartphone sur la chaîne CNN Türk – qui sera elle aussi occupée plus tard –, Erdogan appelle le peuple à sortir dans les rues et à protester contre le coup d’État. Un appel relayé toute la nuit par les imams des mosquées. Des conflits violents surviennent tout au long de la nuit, principalement à Ankara et à Istanbul, entre les militaires (dont on apprend qu’ils sont au nombre de 5 000 sur un total de 675 000) et la police inféodée à Erdogan soutenue par les défenseurs du régime. Signalons que, contrairement à l’image qu’il en est fait à l’étranger et qu’Erdogan essaye aussi de présenter, il n’est pas question d’une résistance de masse face au putsch pour défendre la démocratie. Si effectivement des milliers de personnes sont sortis dans les rues, il s’agit principalement de la base militante de l’AKP (ayant obtenu 49.5 % aux dernières élections), islamiste et fasciste, défilant aux cris de « Allah u Akbar » et revendiquant le rétablissement de la peine de mort.
Après des atrocités commis par les deux camps, le bombardement du Parlement à quatre reprises (!), celui de l’hôtel où se trouvait Erdogan, l’appel des puissances occidentales à soutenir la démocratie, la tentative est finalement défaite vers le matin, laissant derrière elle 265 morts (dont une centaine parmi les putschistes et le reste de civils et policiers) et 1 500 blessés. Erdogan annonce que le coup a été dirigé par des adeptes militaires de la confrérie de Fethullah Gülen, l’ancien allié de l’AKP devenu son ennemi juré. Dès le lendemain, une opération d’envergure est lancée dans l’armée, le corps judiciaire (dont arrestations de hauts magistrats), la police et dans d’autres branches de l’appareil d’État faisant au total 6 000 gardes à vue (dont 2 850 militaires).
Refuser les coups d’État militaire et d’Erdogan
S’il est trop tôt pour se prononcer sur les véritables responsables de ce mouvement putschiste, les cadres gülenistes encore existant dans l’armée malgré les opérations antérieures ont probablement participé à ce coup, mais vraisemblablement liés à d’autres groupes militaires opposés au régime. Une des thèses est que, face à l’annonce d’une nouvelle vague d’opérations visant à « nettoyer » l’appareil d’État, ces secteurs ont tenté de réaliser leur projet de coup d’État plus tôt que prévu, comptant sur un soutien civil et militaire dans le feu des événements par « un effet de boule de neige »... Ce qui n’a pas du tout été le cas !
Alors que les quatre partis représentés au Parlement (AKP, extrême droite, centre-gauche laïciste et gauche liée au mouvement kurde) ont dénoncé la tentative putschiste et célébré la résistance civile par une déclaration commune, il est bien évident que la nuit du 15 juillet va donner l’occasion à Erdogan de durcir encore plus son régime et instaurer le système présidentiel dictatorial qu’il souhaite. Ce dernier a appelé ses partisans à ne pas quitter les rues jusqu’à nouvel ordre, ce qui a provoqué des agressions dans les quartiers syriens, kurdes et alévis dès le deuxième soir...
Résister aux offensives du régime et de ses milices tout en condamnant toute intervention militaire reste une tâche urgente pour toutes les forces démocratiques et de gauche, sans oublier que c’est seulement la construction patiente et de longue haleine d’un mouvement de classe qui permettra de changer définitivement les rapports de forces.
D’Istanbul, Uraz Aydin