Publié le Mercredi 14 mai 2014 à 22h57.

Ukraine : la guerre d’Odessa

La tragédie d’Odessa – l’incendie criminel de la Maison des Syndicats où plus de quarante manifestantEs et militantEs « pro-russes » ont péri – est en train de condenser une terrifiante guerre des « interprétations », prélude d’une possible guerre tout court.

Les mots, comme les images, sont importants et mobilisent les consciences, comme dans l’ex-Yougolavie, contre un « plus jamais ça » où toute contestation des faits devient du « révisionnisme » : on parle du « pogrom » d’Odessa, d’un incendie évoquant de tristement célèbres populations enfermées et brûlées par les nazis. Cela relaie désormais dans les milieux antifascistes, ce que furent, en Crimée comme à Donetsk, les affiches « électorales » appelant aux référendums. Celles-ci assimilaient Maïdan, Kiev et toute l’Ukraine à des violences « nazies ». La logique d’une « appartenance historique » à la Russie est mobilisée, comme dans les discours de Poutine, qui peut, ensuite « appeler au dialogue ».

Histoire contre enjeux sociaux et politiquesDétournant des enjeux réels qui concernent toute la société ukrainienne, la réalité « historique » de l’indépendance de l’Ukraine est niée. Elle a pourtant été massivement votée en 1991, toutes régions confondues (sauf la Crimée). Le problème ne réside pas en soi dans le pseudo-référendum du Donetsk s’il ne s’agissait que d’une démonstration politique : Roman Lyagin, directeur du comité électoral de la « République de Donetsk », avait assuré : « Nous voulons juste déclarer notre autodétermination (...) mais nous ne cesserons pas d’être une partie de l’Ukraine, nous ne deviendrons pas une partie de la Russie, nous allons juste dire au monde que nous voulons des changements » (selon la Tribune.fr de ce lundi 12 mai). Malheureusement, c’est une autre logique qui tend à se consolider. Chef autoproclamé de Donetsk, Denis Pouchiline a jugé inutile d’attendre la fin du vote pour donner son interprétation des résultats. Car il s’agit de nier toute légitimité à une quelconque consultation libre et réelle des populations locales. L’hymne ukrainien est déjà interdit. L’attaque armée d’une manifestation pacifique en faveur de l’unité ukrainienne par une milice de plusieurs centaines d’hommes (à Odessa, avant l’incendie), et, dès le lundi 12 mai, la demande à la Russie d’envisager l’« absorption de la République populaire de Donetsk au sein de la Fédération de Russie », préparent un simple « retour à l’Histoire ». On ne débat pas « l’Histoire », pas plus qu’il ne s’agit de boycotter l’élection présidentielle du 25 mai : c’est son interdiction dans la nouvelle « république » qui est proclamée. Qu’ont exprimé les habitants lors du référendum ? Les « Non » ne sont pas venus. Les autres ont exprimé une aspiration « souveraine » : l’espoir d’un rattachement à la Russie pour des raisons historiques ou l’espoir d’y vivre comme dans l’ex-URSS ; aussi et largement contre le gouvernement de Kiev, son « opération anti-terroriste », contre l’horreur du drame d’Odessa et des morts ; pour « être respectés », avoir une autonomie de gestion régionale avec reconnaissances de plusieurs langues officielles ; en défiance envers des politiques de Kiev et du FMI aggravant encore la situation sociale désastreuse. Mais certainement pas la volonté de divorcer de l’Ukraine. Ces enjeux-là peuvent tous être débattus et entendus dans toute l’Ukraine.

L’auto-organisation comme enjeuMaïdan était un mouvement de masse, indigné contre les violences et la corruption du régime. Il se défiait de tous les partis et leaders, sans être « représenté » par un gouvernement des partis qu’il est possible de combattre, sans l’assimiler à un putsch fasciste. Aucun dirigeant dit de Maïdan ne perce dans les sondages. Mais dans le Donbass, il y a d’abord des leaders autoproclamés et violents appuyés sur des groupes armés composites, en partie issus de la décomposition de l’appareil et où le rôle des services de sécurité russes est tout autant certain que celui de Washington à Kiev. L’auto-organisation de masse des travailleurs et citoyenEs de toutes les régions est la seule garantie de paix. Les travailleurs de Kryvyii Rih ou de Krasnodon montrent la voie. Il faut les soutenir, contre le FMI et les oligarques ; contre les violences et la guerre ; contre les idéologies réactionnaires d’une extrême droite « anti-russe » ou « eurasienne » et « anti-ukrainienne » ; contre les logiques de grande puissance russe ou/et occidentales.

Catherine Samary