Publié le Samedi 2 avril 2022 à 13h00.

Ukraine-Russie-USA : une nouvelle lutte pour la suprématie impériale mondiale

Nous publions des extraits d’un article de David Finkel, mis en ligne sur le site de Solidarity (https://solidarity-us.or…). Un point de vue utile aux discussions qui animent les gauches anticapitalistes à l’échelle internationale1.

Sans répéter de nombreux points de la position de Solidarity sur la guerre, nous, la gauche socialiste et anti-impérialiste (des États-Unis), devons commencer par saisir simultanément deux points centraux.

La haine de Poutine pour l’indépendance de l’Ukraine

Pour le public des États-Unis, il est essentiel d’expliquer comment l’expansion de l’Otan en Europe de l’Est après la dissolution de l’Union soviétique était une provocation continue, motivée par l’idéologie triomphaliste impériale américaine – « l’ordre international fondé sur des règles » signifiant que « nous faisons les règles et nous donnons les ordres ». Des observateurs intelligents, dont nul autre que George Kennan, l’architecte de l’«endiguement» de l’Union soviétique par l’Occident pendant la guerre froide, ont averti dans les années 1990 que rien de bon n’en sortirait. William Burns, qui est aujourd’hui le directeur de la CIA, le savait également lorsqu’il était un haut diplomate des États-Unis en Russie.

Pour la gauche, il est essentiel de comprendre que l’Ukraine mène une guerre de défense nationale tout à fait légitime. L’invasion de l’Ukraine par le président russe à vie Poutine est basée sur des mensonges monstrueux. L’Ukraine n’était pas sur le point de rejoindre l’Otan, ni maintenant ni dans un avenir prévisible – cela aurait divisé l’alliance occidentale, et l’Allemagne ne l’aurait pas permis. Les UkrainienEs russophones ne sont pas confrontés à un « génocide ». En fait, les zones les plus russophones sont précisément les villes de l’est de l’Ukraine que la Russie est en train de détruire. Cette invasion est le produit de la haine de Poutine pour l’indépendance de l’Ukraine et du refus de son peuple d’accepter la domination russe.

Le droit de l’Ukraine à se défendre

Ne pas reconnaître le premier point, c’est tomber dans le piège impérialiste

avec son discours plein d’hypocrisie de « défense des valeurs libérales et de la démocratie ». Mais pour la gauche, qualifier l’invasion de la Russie d’action « défensive » revient à faire du social-patriotisme (« socialisme en paroles, chauvinisme en actes ») pour Poutine.

Aucun socialiste digne de ce nom ne peut nier le droit de l’Ukraine à la défense nationale contre cette horreur qui se déroule, ni l’obligation d’aider ceux qui fuient. Et précisément parce que la Russie ne parvient pas à détruire l’armée ukrainienne, elle s’est tournée vers le bombardement terroriste et le massacre de la population, le recrutement de « volontaires » mercenaires syriens qui n’auront aucune « sympathie » pour les civils ukrainiens, peut-être même la guerre chimique (pour une fois, les accusations étatsuniennes à ce sujet semblent crédibles).

Il y aura au minimum plusieurs millions de réfugiéEs civils en provenance d’Ukraine. Nous ne pouvons pas savoir maintenant combien d’entre eux pourront rentrer, ni quand ni vers quoi ils retourneront. L’expérience de la Syrie, de 2011 à aujourd’hui, est un exemple sinistre de la possibilité de destruction et de dispersion permanentes.

Ce qui est nouveau dans la situation actuelle, c’est l’ouverture non pas d’une simple crise locale ou régionale, mais de la nouvelle lutte pour la suprématie impériale mondiale. Les impacts potentiels immédiats vont du danger de rejets radioactifs massifs des centrales nucléaires ukrainiennes aux pénuries alimentaires mondiales qui s’annoncent en raison de la perte du blé ukrainien [et russe] et de la production d’engrais russe et ukrainienne, en passant par une éventuelle confrontation directe Otan-Russie entre États dotés d’armes nucléaires.

Une reconfiguration du pouvoir mondial

Tout en soulignant que la guerre d’autodéfense de l’Ukraine est absolument nécessaire, inévitable et démocratique, nous devons également reconnaître la dimension du conflit inter-impérialiste. Ces armes efficaces et sophistiquées qui arrivent en Ukraine en provenance des États-Unis, d’Europe occidentale, d’Israël et de Turquie permettront de mesurer leur efficacité sur le champ de bataille. L’Ukraine elle-même deviendra plus dépendante de l’Occident, non seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan économique, alors qu’elle s’efforce de se reconstruire.

L’impact total des sanctions économiques et financières sur la Russie ne peut pas encore être mesuré, mais il ne sera pas de courte durée. Après les très mauvaises performances des convois de chars de la Russie et le faible moral de ses soldats, qui indiquent un besoin de modernisation militaire, nous devons supposer que les sanctions des États-Unis et de l’Otan s’étendront à une guerre économique pour empêcher la Russie de l’accomplir – ou de retrouver son influence en tant qu’exportateur d’énergie.

Quoi qu’il advienne de la production et des marchés mondiaux du pétrole et du gaz naturel, la Russie sera probablement réduite à un pays plus pauvre et beaucoup plus dépendant de la Chine. Nous ne sommes qu’au début d’une reconfiguration du pouvoir mondial, dans laquelle la réaction de la Chine et d’autres variables ne sont pas encore connues.

  • 1. Lire l’intégrale (en français) sur alencontre.org.