Publié le Mardi 25 mai 2021 à 12h39.

« Un incident sans précédent et inacceptable »

C’est ainsi que l’Union européenne a qualifié le détournement par la Biélorussie de l’avion de Ryanair pour s’emparer du journaliste et opposant Roman Protassevitch. Le régime biélorusse a intercepté un vol commercial entre Athènes et Vilnius. C’est évidemment scandaleux et représente un pas de plus dans l’offensive répressive que Loukachenko et ses sbires mènent contre tous ceux qui osent s’opposer à lui.

Néanmoins, il y a une expression de trop dans la formule de l’Union européenne, c’est « sans précédent ». Il y a au moins un précédent et il est bien français. Le 22 octobre 1956, l'armée française a capturé un avion de la compagnie Air Atlas-Air Maroc volant de Rabat à Tunis en dehors de l’espace aérien français, dans lequel se trouvaient cinq des plus importants dirigeants politiques du Front de libération nationale (FLN) algérien, notamment Ahmed Ben Bella. Pour l’intercepter des avions militaires ont décollé d’une base militaire française en Algérie avec ordre d’obliger l’avion d’Air Maroc à se poser y compris en tirant dessus s’il refusait de le faire. Ben Bella et ses camarades resteront prisonniers jusqu’en 1962.

Ce rappel ne vise pas à relativiser l’interception de Protassevitch et les dangers que celui-ci pourrait courir. Le NPA s’associe évidemment aux appels de l’opposition biélorusse pour sa libération. Mais les régimes dits « voyous » ou les groupes étiquetés comme terroristes n’ont pas l’exclusivité de la piraterie aérienne. En dehors de l’exemple français, il est prouvé que la CIA avait été informée d’un projet d’attentat d’un groupe d’anticastristes contre un avion de ligne cubain et n’avait rien entrepris pour l’empêcher ; l’attentat eut effectivement lieu en octobre 1976 juste après que l’avion eut décollé de la Barbade et entraina la mort de 73 personnes.

Certains ont parlé de terrorisme d’État à propos de l’acte biélorusse ; nous en sommes d’accord. Mais beaucoup d’autres États ont recouru ou recourent encore à des pratiques terroristes. En 2016, François Hollande avait ouvertement évoqué dans un livre publié par deux journalistes du Monde le recours par la France aux assassinats ciblés. L’État turc pourchasse ses opposants, en particulier kurdes (avec notamment l’assassinat à Paris en 2013 de trois militantes dans les locaux du centre d’information sur le Kurdistan). Le régime de Poutine a une prédilection pour le poison. Quant aux services israéliens, un livre récent (Lève-toi et tue le premier, Grasset, 2020) retrace leurs pratiques en la matière. En fait, derrière leurs grandes proclamations plus ou moins humanistes, tous les États bourgeois n’hésitent pas à recourir, plus ou moins discrètement, à de sales méthodes.