Cuba et les États-Unis ont formellement renoué le lundi 20 juillet des relations diplomatiques, rompues il y a 54 ans. Le drapeau cubain a été hissé sur l’ambassade de Cuba à Washington, geste symbolique du rapprochement annoncé le 17 décembre dernier par Barack Obama et Raul Castro.
Le chef de la diplomatie américaine John Kerry a reçu au Département d’État le ministre des Affaires étrangères de Cuba, une première depuis 1961. Dans la capitale cubaine, l’ambassade américaine a également rouvert en toute discrétion. Le drapeau américain n’y sera hissée qu’à l’occasion de la visite de John Kerry dans l’île, visite prévue le 14 août.
Opposition autour de Guantanamo
« Nous célébrons ce jour comme le moment pour commencer à réparer ce qui a été cassé et à ouvrir ce qui a été fermé pendant trop longtemps », a déclaré en espagnol John Kerry... tout en précisant que la normalisation des relations serait « longue et complexe ». Les USA ne veulent pas que le désaveu de leur politique passée apparaisse de trop comme une victoire du peuple cubain, d’autant que les Républicains affichent leur hostilité et entendent s’opposer à la nomination d’un ambassadeur à La Havane qui doit obtenir l’aval du Sénat.
Ainsi, le ministre cubain des Affaires étrangères Bruno Rodriguez a demandé la restitution des terrains de la base de Guantanamo occupés par les USA depuis la fin de la guerre d’indépendance contre l’Espagne, début 19e siècle, évoquant « le territoire occupé illégalement de Guantanamo, ainsi que le respect de la souveraineté de Cuba ». John Kerry lui a répondu : « pour le moment, il n’y a pas d’intention de notre part d’altérer le traité de location de Guantanamo Bay. » Un point qui embarrasse Obama qui avait par ailleurs promis de fermer le camp.
« La levée totale du blocus, la restitution du territoire illégalement occupé de Guantanamo, ainsi que le plein respect de la souveraineté cubaine et l’indemnisation de notre peuple pour les dommages humains et économiques, sont essentiels pour aller vers une normalisation des relations », a répondu le ministre des Affaires étrangères cubains, accusant la « soif excessive de domination » des États-Unis.
Le prix d’une victoire
Les USA prennent leur temps car ils savent que Castro ne peut faire marche arrière pour des raisons économiques et politiques. Les difficultés économiques de Cuba n’ont cessé de s’aggraver depuis l’effondrement de l’URSS. Malgré les acquis du régime en matière d’éducation et de santé, le mécontentement populaire est fort. La population attend de la reprise des relations avec les USA une amélioration même minime de ses conditions de vie grâce à la levée de l’embargo, et l’abrogation de la loi Helms-Burton promulguée par Clinton en 1996. Cette loi menace de poursuite devant les tribunaux et d’interdiction de séjour sur le sol américain les firmes ou personnes qui auraient des relations avec ce qui constituait des biens américains, avant les nationalisations de 1959-1961, à l’arrivée de Castro au pouvoir.
La fin du blocus, la réelle reconnaissance de Cuba par les USA, sera de ce point de vue une réelle victoire du peuple cubain que les USA continuent de lui faire payer cher. Cela ouvrirait la porte à des produits de première nécessité qui manquent cruellement, comme les médicaments, la nourriture, des articles de toilette et des moyens de contraception. Cela permettrait aussi des investissements pour moderniser les routes, les transports ou l’approvisionnement en services de base comme l’eau.
Les travailleurs et les classes populaires ne seront pas les principaux bénéficiaires de cette ouverture au marché mondial, loin s’en faut. Mais ils peuvent aussi espérer pouvoir utiliser des droits et des libertés plus grandes pour s’organiser afin de défendre leur propre niveau de vie, leur droit, de se donner les moyens d’agir dans la vie sociale et politique, afin que leurs révoltes, leurs sacrifices ne soient pas définitivement balayés par le marché capitaliste. Se donner les moyens de reprendre le drapeau de la révolution, l’intervention des masses pour décider de leur propre sort.
Yvan Lemaitre