Le PS et la droite, dans l’ex-banlieue rouge, sont aux commandes de la rénovation urbaine et de l’épuration sociale qui l’accompagne.
En 2020 le PCF a dû laisser filer au Parti socialiste la mairie de Saint-Denis qu’il détenait depuis 1920. Pas vraiment une surprise tant l’érosion des communistes était évidente depuis des années, compromis qu’ils étaient dans la gestion municipale. Et pas non plus avec un score impressionnant, indiscutable. Au deuxième tour, la liste de Mathieu Hanotin n’a obtenu que 8 604 voix contre 5 969 pour la liste PC, ce qui ne lui donne pas la légitimité pour révolutionner la ville qui affiche une population de 112 000 habitantEs environ.
« Une ville équilibrée »
Le nouveau maire a fait sa campagne « pour une ville équilibrée » ce qu’il a traduit en matière de logement par la « priorité à la mixité sociale et à la diversification » ce qui n’était pas vraiment développé dans son programme. Tout au plus pouvait-on lire « le doublement de la production de logement en accession sociale à la propriété » et la « réussite de la rénovation urbaine » en s’appuyant sur l’ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine, banque d’État qui finance les projets).
Alors que le Parti socialiste s’est effondré au plan national, il dispose maintenant de points d’appui conséquents en Ile-de-France et particulièrement dans la banlieue nord de Paris. Il a non seulement été élu à Saint-Denis mais aussi à Saint-Ouen, ville mitoyenne, et réélu à Pierrefitte. Il a la présidence de la communauté d’agglomération et gère le département et la ville de Paris. Cela lui donne les moyens de mettre en œuvre une politique globale de rénovation urbaine sans grande opposition. Plaine Commune, la communauté d’agglomération qui regroupe les communes du nord de Paris, présidée maintenant par le nouveau maire de Saint-Denis, engage 14 plans de rénovation sur les neuf villes qui la composent.
L’échéance des jeux Olympiques en 2024 devient le fer de lance de cette rénovation urbaine ; elle fait largement consensus entre les forces politiques qui animent la région. Ceci génère une période de grands travaux autour des lignes de transports, des différents sites des jeux, et des opérations de rénovation urbaine pour une période d’au moins 10 ans. La loi olympique s’impose contre tous les recours démocratiques au nom de l’urgence des travaux. Cette méthode devient la règle pour les opérateurs qui mettent ainsi les populations devant le fait accompli.
Changement du statut des logements
La violence de ces politiques de rénovation urbaine mises en œuvre est d’ailleurs bien la règle ; à Épinay, l’évacuation brutale de la tour Obélisque au milieu de la cité d’Orgemont, qui menace de s’effondrer, se fait sans plan global concerté avec les habitants qui en sont réduits à trouver des solutions individuelles ; à Aubervilliers, la nouvelle municipalité de droite n’hésite pas à vendre les logements sociaux de la Maladrerie, à en détruire d’autres à la Villette ou à Émile Dubois.
À Saint-Denis, le projet de rénovation urbaine a été lancé par l’ex-municipalité PCF. L’objectif concernant la cité de Franc Moisin (un des quartiers de la ville) était déjà le même : éclatement de la cité avec des rues la traversant, démolitions de 477 logements sociaux, reconstruction en accès libre ou social à la propriété ou d’une typologie sociale plus élevée, pour remettre en cause le 100 % de logements locatifs qu’elle connait aujourd’hui et ouvrir la cité à la loi du marché de l’immobilier au nom de la mixité sociale. La nouvelle municipalité n’a eu qu’à reprendre à son compte le projet tant les choix proposés lui conviennent. Elle a juste radicalisé le discours et s’est libérée de la contrainte de la concertation des habitants concernés considérant qu’elle a été élue pour cela.
Mathieu Hanotin procède autrement au centre-ville de Saint-Denis, autre quartier concerné par la rénovation. Sur un ensemble d’un millier de logements construits dans les années 1980, partagés en ilots et regroupés dans la ZAC Basilique, il fustige le trop grand nombre de logements sociaux, le regroupement des pauvres, l’absence de mixité sociale. Si les objectifs sont les mêmes qu’à Franc Moisin, les techniques mises en œuvre pour atteindre ses objectifs sont différentes. Ici pas de démolition mais une résidentialisation qui isole chaque ilot et prépare la privatisation, une politique d’attribution des logements sélective, le transfert des charges d’entretien aux locataires, et un changement du statut des logements dont il n’a pas dit encore quelle forme cela allait prendre : « On regarde toutes les options sans en exclure une particulièrement qui pourrait permettre de travailler à une meilleure mixité sociale » mais qui est claire. Tout cela pour attirer une population plus aisée sur le centre-ville.
Accélérer la gentrification
La caractéristique de l’équipe de Mathieu Hanotin c’est son refus de toute forme de dialogue avec la population et la volonté d’accélérer à tout prix le processus de gentrification. Pourquoi prendre la peine d’informer, de concerter, de discuter, de mobiliser une population dont il ne veut pas, dont il souhaite qu’elle aille ailleurs ? Une population à qui la municipalité envoie des signes de son exclusion comme la volonté de déplacement du marché (plus gros marché populaire de l’Ile-de-France), la disparition des commerces bon marché, l’ouverture de commerces de bouche haut de gamme dans la galerie marchande ou d’un restaurant gastronomique dans la halle ?
Reste qu’avec la base sociale réduite dont il dispose, appliquer un programme d’épuration sociale ne peut pas se faire sans résistances. Comment va-t-il gérer la ville telle qu’elle est maintenant, avec ses exigences sociales, ses besoins, ses revendications ? Ce n’est pas par hasard s’il a investi en priorité dans la police municipale, s’il a engagé la confrontation avec le personnel communal sur le temps de travail, et contraint les bibliothécaires à travailler le dimanche. Mais Saint-Denis ce n’est pas Levallois. Les mois et les années à venir seront porteurs de cette confrontation.